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Critique de SZRAMOWO


Rencontre de hasard avec le premier roman de Juliette Robert. le titre m'a tout de suite fait penser à la chanson de Gainsbourg, La beauté cachée des laids se voit sans délai…allez savoir pourquoi.
À la fin de la lecture, je me dis que cette association d'idées n'est pas sans fondement.
Juliette Robert nous propose une analyse des relations entre les individus, homme/femme, parents/enfants, qui ne laisse pas indifférent.
En choisissant de mettre ses personnages en situation dans un huis clos dont ils ne peuvent s'échapper, une croisière sur le Lusitania, une reproduction motorisée d'un galion espagnol ou portugais construit « sur des plans datant du XVIe siècle. Un bateau magnifique, tout de bois vêtu. », elle offre au lecteur une plongée dans les eaux profondes de chacune des personnalités. le voyage au sens propre et au figuré vaut le détour.
Le contexte :
John, le personnage principal, rend visite à sa soeur Linda (au 3ème étage de l'immeuble sis au 24 rue de Vaugirard à Paris) et assiste un peu effaré à une scène entre Linda et sa fille de 7 ans, Mary.
John est le portrait du séducteur :
Il « est perdu dans ses pensées. Ce matin, il est allé à la messe. John est beau, divinement beau. Ses cheveux sont bouclés, et chacune de ses boucles d'or, à l'arrondi parfait, semble avoir été travaillée au fer.  »
Autrement dit, John se résigne à être dragué, « J'en ai marre de compter à cause de mon apparence. » affirme-il.
Sa gentillesse le perd. Il comprend qu'il devra se substituer à sa soeur qui élève seule sa fille, pour accompagner cette dernière dans une croisière méditative sur le Lusitania affrété par un milliardaire ayant pris sa retraite en France et répondant au nom de Richard.
Le voyage les emmènera du Havre vers les Amériques, comme autrefois.
La première partie du roman, nous apprend à connaître John, Linda et Mary. On y retrouve l'esprit de la Comtesse de Ségur, de Pagnol, d'Hector Malot et de David Foenkinos, à savoir une simplicité assumée dans la façon d'exprimer les sentiments et de décrire les personnages.
Une maîtrise parfaite de l'écriture !
Au cours de la croisière des personnages nouveaux interviennent :
« (…) Gregor est écrivain. (…) il parle de son livre comme si ce n'était pas lui qui l'avait écrit. » ; il est « de ces êtres dont la grandeur provient d'un regard porté sur l'autre, un regard amoureux. »
Jasmine, une passagère du Lusitania, « est si parfaite qu'elle ne semble pas humaine, même le soleil lui fait des avances.  »
Elizabeth, la serveuse du«  Bistro des Cochons », salon bar-restaurant du Lusitania. (…) s'aimait, alors même qu'elle se savait façonnée par son père, par son application à la détruire. »
Marin, un vieux passager fait la croisière, mais dort sur le pont, pour oublier l'indicible acte qu'il a commis et qui l'a conduit en prison. « — On vit avec les souvenirs (.) … Et le manque. » précise-t-il lorsque John l'interroge.
Les interactions et les chassés croisés entre les personnages sont rendus possibles par le huis clos improbable qui apparait comme une chance de connaître ceux que l'on ignore habituellement :
« On ne peut voir nulle part ailleurs une petite fille, un assassin, une princesse, une vermine et des amoureux assis ensemble. »
Faux semblants, échanges amoureux convenus mais mal vécus, mensonges de la séduction, demi-vérités, chacun se recherche, (mais se trouve-t-il pour autant), dans sa réplique, son alter ego ou sa contrepartie ; y va de son impression pleine de doutes sur les autres et sur lui-même.
Peut-on aimer l'autre sans s'aimer soi-même semble se demander l'auteure.
Chaque personnage vit « Le désespoir de n'être rien de précis. », se résigne à « Accepter une vie à la hauteur de ce qu'on est devenu, pas à la hauteur de ce qu'on aurait aimé devenir », s'interroge sur « L'arrogance bourgeoise (qui) ne l'intimide pas, (et) la soumission des timides (qui) ne lui inspire aucune arrogance. », se justifie de sa conduite et « (…) croit ne pouvoir compenser son statut social qu'en procurant des émotions vives. »
Théâtre d'ombres, illuminé par la lumière du soleil et de la mer, la croisière sur le Lusitania met à nu ce que nous prenons pour de l'empathie voulue et volontaire, de l'amour d'autrui, « Ils peuplent nos journées, ces échanges menés dans un souci du paraître, (…) guidés par une curiosité que l'on se surprend (…) à avoir eu pour des gens que l'on ne connait pas. »

Un roman étrange mais attachant porté par une écriture maîtrisée dans laquelle j'ai retenu des formules qui m'ont joliment enchantées :
«  (…) le temps que met un réveille-matin à faire des lambeaux d'un rêve. »
« C'est l'heure du dîner, le ciel se déshabille pour se changer en nuit »
« Son sourire amusé, celui qui ne tire qu'un coin de sa bouche. »
« Les cuisiniers ne sont pas plus frais que leurs poissons et se déplacent avec des mouvements de cosmonautes. »
« Il s'assied au bar, sur un tabouret, avec les gestes précis d'un collecteur d'impôt qui se sait dans son bon droit, et s'installe face au débiteur. »
« — Un cognac, s'il vous plaît Mademoiselle, pour faire fuir le sommeil. »
« Un filet d'eau s'extirpe du pommeau dans un hoquet, et rampe sur son dos comme les mains d'une vieille femme lubrique.  »
« — Le boulot est une drôle de chaussette. »
« Les premières lueurs ont pignoché le pont de touches tendres, mais dans la cabine de John et Mary, il fait aussi noir que dans une caverne.  »
« La nuit est le temps des décisions qu'on regrette au lendemain. »
« Si tu m'aimais, tu commencerais par me laisser dormir. »
« Des nuages bleus, pomponeux. Luminifères de l'intérieur, avec des frou-frous grandiloques des nuages comme au cinémou. »
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