Quand vous avez vécu quelque chose de terrible, parfois la promesse d'une amélioration peut se révéler tout aussi effrayant.
Elle ramassa une rose sur le sol. Ses pétales étaient mouillées, et les épines lui picotèrent les doigts. C'était un symbole d'amour, de vie et de beauté, tellement incongru dans le manoir désert et sinistre de Nathaniel, même si cela faisait un moment qu'elle n'avait plus considéré l'endroit de cette façon. Elle comprit que ces roses avaient été apportées pour elle. Elles représentaient une lueur d'espoir, l'éclat rougeoyant d'une braise au milieu des cendres froides.
L'encre et la poussière de parchemin couraient dans ses vaines. La magie des Grandes Bibliothèques circulait dans ses os. Les Grandes Bibliothèques faisaient parties d'Elisabeth, et la reconnaissaient comme une part d'elles-mêmes.
Elle le sentit tressaillir sous ses mains. Il la dévisagea comme s'il était en train de se noyer, que c'était elle qui l'avait poussé, et qu'il ne savait pas quoi faire.
Elle avait l'impression d'être faite d'air et de lumière, à peine reliée au monde physique, à la fois indomptable et en même temps su le point de tomber en morceaux, de se consumer, de se perdre.
Le chagrin la frappa avec la force d'un coup de poing à l'estomac. Elle se plia en deux et se laissa glisser au sol, la respiration coupée. Elle n'était pas faite d'air et de lumière. Elle n'était que pauvrement, misérablement humaine, et elle ressentait la douleur, une douleur si intense qu'elle en devenait insoutenable.
Elle pleura jusqu'à ce que le monde se brouille et s'engourdisse autour d'elle, et qu'enfin elle ne pense plus à rien.
Elisabeth était consciente du gouffre qui les séparait : il était d'un âge inimaginable, et le cours de ses pensées lui restait insondable, tels les mouvements de rouages dissimulés à l'intérieur d'une machine.
Les yeux baissés sur Nathaniel, elle sentit son cœur douloureusement empli d'une chanson qui n'avait ni mots, ni notes, ni mélodie, mais qui réclamait tout de même qu'on lui donne voix ; c'était une sensation qui la faisait presque souffrir, car elle semblait trop grande pour que son corps puisse la contenir.
Mais Elisabeth avait le sentiment qu'en cet instant le mal ne pouvais pas exister, pas ici, pas avec tous ces gens partant en pèlerinage au fleuve à la lueur des réverbères ; il y avait trop de beauté en ce monde pour que le mal ait la moindre chance de l'emporter.