Elle contempla la cité scintillante, si ancienne, si incroyablement vaste, en se demandant comment autant de lumière et de beauté pouvaient coexister avec autant de ténèbres. Jamais elle ne s'était senti si petite ou si insignifiante. Cependant, pour la première fois depuis des semaines, elle était libre.
Elle flottait à travers le monde comme un radeau à la dérive sur une mer au doux clapotis.
Une colère noire s'empara d'Elisabeth. Elle enfla dans son cœur, crépita sur sa peau, l'envahit jusqu'à la racine des cheveux.
Elle luis adressa un regard incrédule. Était-ce ce que faisaient les gens ? Ils renonçaient ? Quand il y avait en ce monde tant de choses à aimer et qui valaient la peine que l'on se batte pour elles ?
Elle était de retour chez elle, au milieu des murmures et des bruissements des pages, enveloppée par la senteur douce et poussiéreuse des livres.
Mais il existe toujours plus d'une façon de considérer le monde. Ceux qui prétendent le contraire veulent vous enfermer à jamais dans les ténèbres.
Jusqu'ici, elle n'avait pas compris à quel point l'atmosphère d'une Grande Bibliothèque lui avait manqué ; on aurait dit que quelque chose au plus profond d'elle-même, qui s'était désaxé depuis son départ d'Estive, venait soudain de se remettre en place. Elle était chez elle.
Les livres avaient eux aussi un cœur, même s'il ne ressemblait pas à celui d'une personne, et un livre pouvait avoir le cœur brisé. Elle l'avait déjà vu par le passé : des grimoires qui refusaient de s'ouvrirent, tombés dans le mutisme, ou dont l'encre s'effaçait ou coulait sur les pages comme des larmes.
Mais elle avait désormais l'impression d'être un fantôme hantant son propre corps et d'observer sa vie à travers une vitre sale. Elle ne savait plus bien où était sa place ni, plus déroutant encore, ce qu'elle voulait vraiment.
Elle ne voulait pas qu'il s'arrête. Jamais personne ne l'avait touchée de cette façon. Les mains de Nathaniel qui passaient sur sa peau laissaient dans leur sillage, telle une traînée de comète, un picotement impatient, le cri de son corps qui en réclamait davantage. Une douleur étouffante lui envahit la poitrine et l'intensité de la sensation la submergea.