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Critique de CDemassieux





Contrairement à des Céline, Cendrars, Dorgelès, Drieu la Rochelle, Giono, etc., Jules romains n'a pas combattu. Mais Victor Hugo n'a pas connu non plus la Terreur, ce qui ne l'a pas empêché d'écrire un roman – sans doute son meilleur – sur cette période : Quatrevingt-Treize.

Aussi, une fois cet élément biographique précisé, Prélude à Verdun peut être qualifié de texte fondamental sur la Première Guerre mondiale. Quant au premier chapitre, « La victoire en chantant », il devrait être lu dans toutes les écoles, collèges et lycées à l'approche de chaque 11 Novembre, tant il constitue une analyse parfaite de ce conflit qui devait décider du sort du monde et ce, jusqu'à nos jours.

Lisons donc : « Cependant, avec l'odeur des morts, mais plus dégrisantes pour les chefs parce que plus inattendues, des vérités commençaient à se lever des champs de bataille. […] La vision lyrique de la guerre, qui avait aidé les hommes à partir, recevait une secousse traîtresse qui la faisait chanceler. La guerre jouait le mauvais tour de ne pas ressembler à l'image qu'ils avaient emportée d'elle. »

La vision d'une guerre romantique, héritée d'un XIXe siècle ayant mythifié Napoléon, s'est dissipée à l'épreuve du réel : « Les poilus pouvaient se considérer comme des bagnards à perpétuité. La fin de leur peine se confondrait dans l'avenir avec la fin de leur vie. » Et l'auteur commence son récit après les offensives désastreuses de Champagne, c'est-à-dire avant Verdun, la Somme et le Chemin des Dames, entre autres.

Homme de théâtre, Jules Romains, pour offrir le plus complet et plus juste tableau de la situation à la veille de la bataille Verdun, propose des sortes de scénettes où interviennent des anonymes et des moins anonymes. Ainsi, l'on croise la route du Kaiser en personne et de Joffre, celui qui prétendait grignoter l'ennemi avec le corps des poilus. On voit ainsi le contraste entre le front et l'arrière, entre le général et celui qui croupit dans les tranchées, dont celles de la butte de Vauquois qui, encore aujourd'hui, porte les stigmates des combats d'autrefois.

Par la voix de Jean Jerphanion, l'un des protagonistes des Hommes de bonne volonté – dont fait partie Prélude à Verdun –, des vérités acides, et authentifiées depuis par les historiens, fusent : « En attendant, je constate ce que la guerre a produit de plus net, et qui ne doit rien aux mirages, qui est de l'ordre du positif, de l'acquis : la merveilleuse floraison de profiteurs ; la bassesse des gens de l'arrière, qui trouvent tout naturel que nous servions de rempart à la continuation de leur sale petite vie, de leurs sales petits intérêts et négoces, sans oublier ce détail peut-être négligeable, mais qui m'est très sensible : la sottise ordurière de tout un troupeau de littérateurs, de prétendus intellectuels, dont les propos, dont les attitudes sont une insulte continue à l'esprit. »

Plus loin, le même Jerphanion a cette autre remarque, sonnant comme un échec qui retentit encore de nos jours : « Il avait fallu à la civilisation des siècles de tâtonnements, de patientes redites, pour apprendre aux hommes que la vie, la leur, celle des autres, est quelque chose de sacré. Tout ce travail est fichu. On ne s'en remettra pas, tu verras. »

Plus loin, Jerphanion prédit d'autres horreurs à venir, dont la persécution des Juifs, le livre étant publié en 1938, bien avant l'extermination systématique des Juifs d'Europe. Les prédictions se sont vérifiées...

Jules Romains étale aussi l'impéritie de l'état-major français qui, en ce début de 1916, ne voit rien venir. C'est par la voix d'un officier mondain et planqué qu'il exprime cette ignorance stratégique qui a déjà fait ses preuves : « Je vous répète que je crois pas, moi, que Verdun soit une bûche. Je ne crois pas à un péril immédiat. » On connaît la suite…

Puis il y a cet aveu implacable sur la nature humaine : « Je crois parfois que j'ai trouvé le secret de cet immense malheur où nous sommes pris. Il n'y a pas assez d'hommes qui aiment la vie. Il n'y en a pas assez qui soient capables de s'émerveiller de la paix quotidienne. La plupart sont rongés de sale petites inquiétudes, et ils appellent le drame comme un chien dévoré de puces se jetterait dans le feu. Je vais même jusqu'à me dire que beaucoup sont nés à tort, et qu'ils cherchent obscurément à rattraper cette erreur. Dommage que dans leur oeuvre de réparation envers le néant, ils s'arrangent pour avoir besoin de nous. »

Tout cela chatouille et gratouille, mais en moins drôle que chez le docteur Knock…


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