Ce ne furent pas les peintres seuls qui arrachèrent Géricault à l'influence davidienne, il trouva, dans la passion qu'il avait pour les animaux, et en particulier pour les chevaux, le moins prévu et le plus puissant des concours.
Aimer les animaux ! Il faut avoir vécu dans l'intimité d'un ami des bêtes pour deviner tout ce qu'une telle passion comporte d'intelligence esthétique.
L'artiste qui veut conquérir la gloire, disaient ces pages illustres, demandera son inspiration à l'antiquité classique, à la mythologie ou à l'allégorie, et choisira un de ces sujets grandioses qui permettent d'exalter la beauté nue du corps humain. La représentation de ce corps sera son premier souci et son principal mérite : il s'efforcera de le montrer dans la perfection suprême de ses formes et, loin de s'attacher aux détails mesquins que présentent les individus, il ne consultera la nature que pour l'ennoblir et l'épurer.
Un jeune homme riche, admirablement doué pour l'art, se livre avec une ardeur mal réglée à la double passion qu'il a pour la peinture et pour les chevaux. A peine âgé de vingt et un ans, il fait au Salon un début brillant; presque aussitôt il s'éclipse, disparaît pendant cinq ans, reparaît pour remporter un succès énorme avec une oeuvre qui fait scandale. Au lendemain de ce succès, il fait une nouvelle fugue et meurt, après une agonie cruelle, à l'âge de trente-deux ans, léguant à l'histoire le nom de Théodore Géricault. Pour le public, il reste l'homme d'une page unique ; à ceux qui l'ont approché, il laisse le regret de n'avoir pas fait rendre davantage à son génie.
Le destin qui a voulu qu'il mourût jeune, lui a, aussi, assigné une place à part dans l'évolution de l'art français. Il est né sous le règne de David; il est mort à l'heure où s'affirmait Delacroix, et il n'a été ni classique ni romantique. Étranger à ces doctrines que les ans ont également usées, il entrevit une formule qu'il n'eut pas le loisir de développer, formule encore vivante aujourd'hui et qu'ont reprise les maîtres du réalisme.