Sans le mot qui seul compte dans l'expression d'une pensée, la pensée en question n'est qu'un pur fantôme en attente de corps. Là où les mots manquent pour le dire, manque aussi la pensée.
On ne s'en avise pas toujours, s'imaginant volontiers qu'on a perdu de vue une idée alors qu'on a simplement oublié les mots qui seuls pourraient la constituer ou plutôt la reconstituer. C'est pourquoi nous avons souvent l'illusion d'être à la recherche d'une idée, alors que nous sommes en réalité à la recherche d'un mot.
Et j'ajouterai cette considération aggravante, en ce qui regarde l'écriture en général, que celle-ci présente l'inconvénient supplémentaire de constituer un travail à la fois totalement inutile et totalement épuisant , et d'autant plus épuisant qu'il est ressenti comme plus inutile par l'écrivain qui s'y emploie, ou quelque auteur que ce soit, dès lors que celui-ci est bien conscient de ce qu'il fait.
Ainsi, quand nous cherchons nos propres idées, nous ne faisons réellement que chercher les mots qui les expriment, puisque l'idée ne se montre à l'esprit que lorsque le mot est trouvé, et même les mots dont on se sert pour exprimer la correspondance des mots aux idées, rendre, exprimer, représenter, signifient tout seuls que le mot nous rend l'idée que nous cherchons, et qui serait perdue sans l'expression qui la représente oula rend présente à l'esprit.
C'est pourquoi nous avons souvent l'illusion d'être à la recherche d'une idée alors que nous sommes en réalité à la recherche d'un mot.
Je n'ai jamais écrit que pour essayer d'y voir clair sur des sujets qui retenait mon attention mais que je ne parvenais à concevoir que confusément. Une fois que je réussissais, ou croyais réussir, à y voir plus nettement, j'éprouvais le besoin d'en prendre bonne note par écrit, un peu comme on se prépare une anti-colle ou un pense bête, et vous verrez par la suite que c'est seulement dans la mesure ou je réussissais a mettre par écrit la pensée sur la piste de laquelle je me trouvais que je réussissais effectivement à la penser; raison pour laquelle, soit dit en passant, je ne souscris pas pleinement à un arrêt.
Il déclare quelque part que l'écriture est le seul moyen qu'il ait réussi à imaginer jusque-là pour se débarrasser de ses pensées.
Car c'est précisément la plus grande force de la joie que de savoir triompher de la pire des peines.
Sans le mot qui seul compte dans l'expression d'une pensée, la pensée en question n'est qu'un pur fantôme en attente de corps. Là où les mots manquent pour le dire, manque aussi la pensée.
De même la qualité d'un texte dépend-il moins de l'intelligence de celui qui se dispose à écrire que des décisions heureuses prises, ligne après ligne, au moment ou s'écrit le texte.