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Critique de Malaura


Que peut faire un grand acteur célèbre de 65 ans lorsqu'il se rend compte qu'il a « perdu sa magie », qu'il n'est plus capable d'interpréter le moindre rôle, lui qui a joué les plus grands classiques du répertoire théâtral ?
Que peut faire un comédien naguère plébiscité par le public, encensé par la critique, lorsqu'il constate que son charisme, sa force, la spontanéité avec laquelle il vivait ses personnages, n'ont plus aucun fondement, plus aucune base solide, que désormais tout sonne faux dans son jeu à en être grotesque ?
Il pourrait, comme d'autres grands acteurs avant lui, noyer son trac dans l'alcool ? Vaincre son stress dans l'absorption de petites pilules grises ? Se faire assister d'un professeur de théâtre comme le lui conseille son agent et ami Jerry ?
Non, Simon Axler ne fera rien de tout cela car il sait que c'est fini. Son talent à disparu. A l'heure actuelle « le seul rôle à sa portée est celui d'un homme qui joue un rôle ».
« le pire c'était qu'il était lucide quant à sa chute, tout comme il était lucide quant à son jeu. » C'est avec ce pénible discernement, cette compréhension aigue de sa lamentable condition, qu'Axler se laisse sombrer dans la dépression.
Comme si cela ne suffisait pas, sa femme le quitte et il est accablé de douleurs vertébrales.
Envahi de pensées suicidaires, il se résout à un internement psychiatrique de quelques semaines où l'écoute des patients ressassant leur mal-être et brodant à qui mieux-mieux sur le thème du suicide, semble lui apporter quelque réconfort.
Son domicile regagné, il s'installe dans une routine solitaire et morose avec le sentiment douloureux d'être un vieil homme fini, lorsqu'apparaît sur la scène de sa vie, Pegeen Mike avec qui, contre toute attente, il entame une relation amoureuse et sexuelle aussi complice qu'intense.
Pegeen est la fille d'un couple de ses amis. Pegeen à 25 ans de moins que lui. Pegeen, avec ses airs de jeune garçon déluré, est charmante, attachante et ….lesbienne…
Axler la transforme en parfaite hétéro, jouant son rôle de Pygmalion avec autant d'ardeur qu'il en met à expérimenter les accessoires sexuels (nombreux !) de la belle, le triolisme et autres jeux érotiques.
La chute n'en sera que plus rude car la charmante Pegeen est également immature, amorale et peut-être pas aussi modifiable dans sa sexualité qu'elle ne le lui avait laissé croire…

La vie est une grande scène de théâtre où chacun interprète le rôle qui lui est imparti à divers moment de son existence.
Pour Simon Axler, c'est l'heure du dernier rôle dans une pièce qui se joue en trois actes.
Dès le départ, Philip Roth ne nous laisse aucun espoir quant à l'issue tragique de cette histoire où dépression, sexe et suicide se donnent la réplique dans une tragi-comédie à la mise-en-scène fringante et enjouée mais au dénouement funèbre.
C'est le propre du « Cycle Némésis », cette série de courts romans placés sous les lugubres auspices de la déesse de la vengeance et de la mort et dont « le rabaissement » est le 3ème opus après « Un homme » et « Indignation ».
Ne comptons pas sur Philip Roth, ce diabolique dramaturge, pour faire intervenir un Deus ex Machina venant dénouer cette situation de déliquescence. L'effondrement se jouera bel et bien jusqu'au baisser de rideau.

Nul happy end donc, mais encore un texte brillant sapant allègrement les dernières illusions d'un homme en fin de parcours, un homme qui - et c'est cela aussi qui est terrible - est le témoin lucide de sa propre chute, en est même pour bonne part responsable, mais grisé par l'ivresse sexuelle d'une relation dont il se doute qu'elle sera la dernière, plonge tête la première dans les mirages d'un amour à la finalité hautement prévisible.
« Un jour viendra où les circonstances la placeront en position de force pour mettre un terme à la situation, alors que je me retrouverai en position de faiblesse pour n'avoir pas eu la fermeté de rompre maintenant. Et quand elle sera forte et que je serai faible, le coup qui me sera porté sera insoutenable » s'inquiète Simon Axler en regardant Pegeen Mike le chevaucher comme au manège, ce qui ne l'empêche pas de se laisser entrainer par les remous de ce bain de jouvence illusoire et mensonger.
Et qui pourrait dire non à l'amour lorsqu'il frappe à la porte ? Sauf que l'amour n'est pas un générateur de vigueur lorsqu'on est vieux, l'amour n'arrête pas les aiguilles du temps, ni les dégradations du corps, il n'est ni un rempart contre la dépression, ni un substitut aux problèmes de créativité, ni un personnage que l'on dirige à sa guise.
Il en est simplement l'illusion, l'espoir, le leurre magique que l'on souhaiterait éternel dans ce théâtre d'improvisation qu'est la vie. Mais comme nous l'assène si bien l'auteur dans ce texte-uppercut, à la fin on est toujours tout seul... le peu d'illusions qu'il nous laisse sur la finalité de toute vie humaine à plus où moins brève échéance, est d'une terrible et douloureuse évidence.

Ciselant les thèmes qui lui sont chers – le sexe, la vieillesse et la mort - avec ce même regard acéré de diamantaire à qui aucune des facettes de l'individu n'échappe, Philip Roth taille, avec ce trentième roman, une pièce noire et tranchante aux reflets sombres et bruts.
Non, Philip Roth n'a rien perdu de sa magie.
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