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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
A force de lire des bouquins, on se dit parfois qu'on a fini par toucher le fond et que les conneries inscrites sur le papier ont fini par se faire une place d'honneur dans ce bouillon qui nous sert de cervelle. Qui aurait-on pu être sans cette infusion de jus de culture ? Il ne reste rien de toutes ces heures passées à déchiffrer les philosophes. Aucun de leur système ne résiste au moindre de nos déséquilibres hormonaux ou à la plus légère défaillance de notre système thyroïdien. La philosophie ne pèse pas bien lourd dans la régulation de notre métabolisme.


L'Amour et l'Occident, thèse pondue en 1938 dans une extrême clairvoyance de la situation internationale, n'échappe pas à la règle même si elle nous permet d'épurer le paysage des barbouillis littéraires, philosophiques et tintouini. Programme : arrêter de prendre des vessies pour des lanternes. Et arrêter de croire que les lanternes sont une garantie de bonne vue.


Le roman, à l'origine, était ce récit tragique qu'on nous offrait en pâture et dans lequel tout ce qui paraît avoir de la valeur devrait mériter qu'on s'écartèle et qu'on braille de souffrance toute sa vie dans l'attente d'une vision extatique qui viendrait nous prouver que tout ça, c'était pas pour rien. le roman qui parle de rien, le roman qui parle d'un contentement égal, n'existe que depuis récemment et se fait rare. Il n'a généralement pas de succès, ce qui prouve bien que l'atavisme est puissant.


Denis prend pour point de départ le roman de Tristan, avec sa meuf Iseut. Il nous découpaille le roman comme une volaille de Noël et nous raconte les banalités à son sujet : c'est l'histoire d'un amour impossible et malheureux, d'un amour d'autant plus passionnel qu'il échoue. Un amour tragique, comme tant d'autres. Oui mais, se demande Denis, ce qui est curieux, c'est que cette histoire aurait eu mille occasions de réussir, mais aucun des deux amants n'a voulu s'en emparer. Alors, pourquoi que non ? Parce que sans les obstacles, leur histoire d'amour aurait été un cruel échec, comme tous les rêves qu'on réalise.


Denis ramène la littérature courtoise et le roman breton a l'influence de l'Eglise cathare à cette époque. Hypothèse lourdement attaquée : les troubadours n'auraient jamais parlé du catharisme. Oui mais, rétorque Denis, les surréalistes ne parlaient jamais de Freud non plus dans leurs poèmes, et pourtant ils ont été profondément influencés par sa méthode d'association libre. L'amour-passion malheureux, tel que glorifié dans T&I, aurait donc été le produit du catharisme, une hérésie historiquement déterminée. Au fil du temps, ce mythe passionnel a pris son autonomie en s'éloignant de ses racines cathares, et c'est ce qui l'aurait rendu particulièrement dangereux. La signification originelle du mythe se perd mais non le mythe, qui devient littérature. le sens évanoui devient quant à lui une rhétorique qui se contente d'exprimer des instincts naturels mais sans les dévier, sans les résoudre dans une perspective sacrée ou mystérieuse. On observe les différents visages que revêt le mythe au fil des siècles, jusqu'à l'époque moderne où, sous le coup de l'explosion des cadres de la société, le contenu du mythe envahit carrément la vie quotidienne.


« Nous ne savions plus ce que signifiait cette diffuse exaltation de l'amour. Nous la prenions pour un printemps de l'instinct et pour une renaissance des forces dionysiaques persécutées par un soi-disant christianisme. Toute la littérature moderne entonna l'hymne de la « libération ». »


Mais alors, se demande à très juste raison Denis, « d'où lui vient ce ton de désespoir ? »


Le mythe envahit la politique, le sentiment national, la lutte des classes. le mythe de l'amour-passion influence la politique et les techniques de guerre. On aboutit ainsi à des guerres « passionnelles », des guerres totales qui accomplissent avec puissance ce que recommande l'instinct de mort. Et encore, Denis n'avait pas vu la seconde guerre mondiale. Tout ceci, nous dit Denis, c'est le triomphe de l'Eros contre l'Agapè. Et lui donc de proposer un retour au sens des Evangiles. La fidélité, et les louanges d'Agapè, le genre de truc que n'importe qui trouverait chiant mais, justement, c'est parce que c'est chiant que c'est naturel, tout ce qui est au-delà ne serait qu'épuisement inutile de l'énergie.


« Eros s'asservit à la mort parce qu'il veut exalter la vie au-dessus de notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adorons la vie nous précipite dans sa négation. C'est la profonde misère, le désespoir d'Eros, sa servitude inexprimable : -en l'exprimant, Agapè l'en délivre. Agapè sait que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d'être adorée, ni même tuée, mais peut être acceptée dans l'obéissance à l'Eternel. »


Denis redonne de la valeur à une fidélité qui serait moins une morale qu'une éthique, comme un signe de lucidité, comme un abandon des illusions qui conduisent l'humanité vers le piège des semblants.


Denis nous conduit de l'analyse littéraire à une réflexion psychologique pragmatique et enrichissante qui prend la forme d'un hymne contre l'asservissement de l'individu aux sirènes des idéaux populaires (et bourgeois, c'est pareil maintenant de toute façon). Il déconstruit les mythes pour nous montrer que non, ça ne vient pas de nulle part, ça ne vient pas de l'inconscient collectif, ce ne sont pas des signaux de vérité envoyés par le grand sujet supposé savoir aux petits sujets à la con que nous pensons être. En vrai, un mythe, c'est une histoire qui a fait sens pendant des siècles chez les humains jusqu'à ce que son origine se dissolve dans les tréfonds du temps. le culturel d'un jour devient le naturel du lendemain, et c'est toujours un peu de la faute du hasard, et des prédispositions de certains.
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