Quelle belle plume que celle de cette auteur ! Fluide mais sans facilité, évocatrice mais tout en finesse, elle sait guider le lecteur, par petites touches, dans les deux univers qu'elle a choisi comme toiles de fond de son roman : le Brésil et la banlieue parisienne. Deux mondes que tout semble opposer, mais qui, surtout, peuvent aisément donner lieu à une avalanche de poncifs et de phrases toutes faites. On évite tout cela ici. Et l'on savoure alors la mélodie de cette écriture... qui sait aussi faire réfléchir.
Car ce n'est pas uniquement pour nous offrir un beau texte que
Jo Rouxinol nous propose de suivre Eva, revenue d'un long séjour à Rio et qui débute comme surveillante dans un collège de banlieue. Eva, dont la vie ne semble être qu'une succession de coups durs : l'enfance sans père, le début de l'adolescence marquée par la mort de sa mère, les années grises qui se suivent, l'absence pesante de son seul repère, et les amours tristes, sans lendemain, et le manque d'envie, de projet. Au milieu de tout cela, la lumière affleure pourtant ; et elle vient du Brésil : ce pays inconnu, Eva en a entendu parler toute son enfance, dans le chant de sa mère ou dans ses pas de danse ; alors pas étonnant que dès qu'un rythme de samba ou une mélodie en portugais lui arrive aux oreilles, elle se sente attirée. Et c'est ce qui la conduira finalement à Rio, sur les traces d'un homme dont elle est tombée amoureuse. Une manière de donner corps aux rêves que sa mère n'a jamais pu réaliser.
Mais les rêves peuvent prendre fin ; et brutalement, parfois. Et c'est ainsi que l'on découvre la deuxième vie d'Eva, celle qu'elle a dû reprendre depuis son retour en France, son quotidien au milieu des collégiens, des profs et des autres pions. L'Atlantique sépare ce décor gris et les longues plages de Rio, mais
Jo Rouxinol alterne très finement le présent d'Eva et ses souvenirs brésiliens, puis remonte par moment vers sa lointaine enfance et nous suggère ainsi que, à Paris ou à Rio, les hommes, les femmes et les enfants du monde entier nourrisent les mêmes rêves et souffrent des mêmes désillusions.
Evidemment, ce n'est pas le premier roman qui nous conduit à cette conclusion ; mais celui-ci parvient à le faire avec élégance. Cela tient, comme je l'ai dit, à la mélodie de l'écriture ; mais cela vient aussi de la position prise par l'auteur, position délicate mais qu'elle réussit très bien à tenir : l'absence de jugement. Comme pour ses décors,
Jo Rouxinol sait dépeindre ses personnages, adultes ou enfants, français ou brésiliens, avec réalisme et finesse, excluant les clichés et sachant donner à beaucoup d'entre eux un côté attachant. Mais surtout, à aucun moment elle ne se permet de les étiqueter, de les classer dans le camp des gentils ou des méchants. Elle nous laisse nous faire notre propre opinion ; ou rester dans le doute. Car tout est dans la nuance. Rien n'est jamais tout noir ou tout blanc. Dans les lointaines favelas ou dans nos banlieues toutes proches, la violence, la manipulation, l'hypocrisie sont tout aussi présentes. Et sur chaque rive de l'océan, existent aussi la générosité, le partage, le courage, la volonté, le travail. Et en chacun d'entre nous, tout cela peut également se mélanger. Et l'on peut facilement basculer du côté clair au côté sombre ou inversement selon les étapes de nos vies. Ou pour la simple raison que l'illusion sur laquelle on avait bâtit toute sa vie finit par s'évanouir.
Le titre du roman nous le suggère, et sa lecture nous le confirme : c'est bien cela le thème central de cette histoire : ces illusions qui jalonnent ou qui fondent nos existences. Les rêves d'enfance, les projets qu'on échaffaude, les histoires d'amour qu'on s'invente, les promesses auxquelles on s'accrochent, les mensonges qu'on refuse de comprendre, les rumeurs qui courrent, les a priori, les non-dits et les suppositions, les sous-entendus et les regards qu'on ne sait pas interpréter ou encore les gestes excessifs, desespérés, qu'on n'identifie pas comme des appels au secours. Ce sont là autant de visages différents de l'illusion. Et quand la musique s'arrête, quand le carnaval prend fin et que les masques tombent, elles ne valent plus grand chose sous la lumière brutale de la réalité.
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