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Citations sur Pleine terre (107)

Et tous ceux qui le montreraient du doigt, ceux qui verraient désormais sur son visage la marque des hors-la-loi et des parias, comment leur faire entendre que les lois sont faites pour les lâches et les règles pour les braves ?
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Notre planète est comme moi, comme nous tous : elle est fatiguée.
Les traitements chimiques, la surexploitation et les monocultures de masse ont appauvri les sols. Notre pays est le premier consommateur d'herbicides, de fongicides et d'insecticides en Europe, et le troisième dans le monde. Nos politiques dénoncent la surexploitation des ressources naturelles, la pollution des terres et des eaux, ils affirment la légitimité sociale des agriculteurs en les présentant comme des aménageurs de territoires soucieux de l'écologie et du bien-être animal. Mais, dans un même temps, les actes sont contraires : les normes imposées qui nécessitent sans cesse de nouveaux investissements privilégient les grosses exploitations, elles tendent à éradiquer le modèle même qu'elles sont censées défendre parce qu'elles ne prennent en compte ni la réalité du terrain ni la diversité de ce que recouvre le terme "exploitation agricole".
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Il ne voulait plus être bercé par les plans de compétitivité et d’adaptation, la politique agricole commune, la course au rendement, la sacralisation du modèle intensif, la surexploitation et les monocultures de masse qui rongeaient les terres, polluaient les eaux, empoisonnaient les hommes, éradiquaient les petits paysans. Il s’était toujours méfié de l’agriculture productiviste, ces élevages concentrés, spécialisés, générant endettement et épidémies, favorisant l’agro-industrie avec des tonnes de tourteaux de soja distribuées à un bétail fait pour pâturer dans les champs. Il était persuadé que cette modernité était dépassée, qu’elle était même le contraire du progrès. Il affirmait que, pour soigner l’avenir, les agriculteurs devaient inventer des possibles qui panseraient le cœur des hommes en même temps que les plaies du vivant.
Il l’avait déclaré à maintes reprises, en son nom et en celui des disparus qui remplissaient les colonnes nécrologiques des journaux : il fallait que l’hécatombe cesse, on ne pouvait plus ignorer le comptage macabre des éleveurs terrassés par le désespoir. Ils devaient pouvoir vivre de leur travail, sans assistanat ni mise sous tutelle, sans ce matraquage de normes seulement adaptées aux grandes exploitations. Il s’était exprimé dans la presse, il avait défendu ses positions lors de réunions syndicales, il avait été porte-parole de la Confédération paysanne. Très tôt, avant même les premiers contrôles administratifs à la ferme des Combettes et les sanctions qui avaient suivi, il s’était demandé s’il saurait parler pour les autres, s’il saurait dire l’humiliation et la peine avec des phrases assez aiguisées pour trancher le mal à la racine.
Et la dépossession. Et la honte.
Et l’affront fait aux ancêtres qui avaient transmis des terres fertiles – l’or vert devenu plomb.
Il savait que ce combat n’était pas uniquement sien, ils étaient nombreux à le charrier dans les sillons de leurs veines. Il en était certain, le jour viendrait où la colère épaissirait le sang de toute une communauté, elle emboliserait le calme et la patience qui transformaient les campagnes en nécropoles silencieuses. Il était parti gorgé de cette certitude : il faudrait lutter encore et il en serait.
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Il était parti. Il avait quitté la ferme des Combettes.
Il s’était affranchi des abrutissements générés par des années d’espérance plus ou moins passive, se sevrant sans préavis des promesses de jours meilleurs administrées comme des sédatifs. Il avait dit non. Il avait refusé de se laisser à nouveau endormir par le refrain habituel : les allègements de cotisations, les crédits d’impôts, les aides aux calamités, les primes à l’hectare, les subventions à l’investissement, à la formation, à l’exportation. Il s’était détourné d’un système où il ne trouvait plus sa place – ni lui ni tous ceux animés du seul attachement à la terre et aux bêtes.
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C’était le jour mais il lui semblait que la nuit ne finirait plus. Allongé à même la sente où courait une végétation touffue, il avait ouvert les yeux aux premiers cris des passereaux. À présent, l’aube grandissait. Il ne s’en imprégnait pas, il restait tout entier dans l’ombre. Son bassin était si lourdement ancré au sol que les fougères écrasées sous le sacrum avaient rendu une sève huileuse qui lui inondait les reins. Depuis combien d’années ne s’était-il pas éveillé ainsi, à l’aplomb du ciel, dans la clarté encore laiteuse, entre les plis charnus de la terre ? Il fallait sans doute remonter aux fantaisies de l’adolescence, autant dire un sacré bail. Face tournée vers les grands frênes, pieds parfaitement à plat, il ne bougeait pas. Ses jambes étaient positionnées de telle manière que s’il avait relevé la nuque, il n’aurait rien vu du paysage qui se déployait devant lui – seulement la masse de ses cuisses et les deux sphères de ses genoux.
Il referma les yeux.
Le vert tenace qui l’entourait, il n’avait de toute façon pas le courage de le regarder. C’eût été comme s’extraire d’un sommeil de momie : autant se découdre les paupières ou, plus résolument, tailler dedans. En tout cas, il ne se souvenait pas de s’être assoupi les jambes fléchies. Il ne se rappelait pas non plus s’être placé torse offert aux ténèbres, les deux omoplates au contact de la pente. Jacques Bonhomme avait toujours dormi sur le côté, le gauche de préférence, sa grande carcasse ramassée en position fœtale.
Souvent, lors des repas dominicaux, sa mère lui répétait qu’il ne deviendrait un homme que lorsqu’il serait capable de s’endormir sur le dos. Elle s’enquérait régulièrement de son rituel nocturne, s’amusant de savoir qu’aujourd’hui encore seule la posture compacte du foetus favorisait son repos et, par facétie ou plus certainement par affection, elle persistait à l’appeler Mon petit garçon là où la majorité des femmes disaient Mon fils depuis longtemps. Il était l’unique représentant de la gent masculine sur une lignée de trois enfants. Au sein d’une famille où la vocation d’agriculteur se transmettait comme une providence, cette singularité valait bien les considérations particulières d’une mère – même tendrement moqueuses.
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Nous avons inspiré les peintres et les romanciers. Nous avons façonné l'imaginaire de tous ceux qui, le temps d'un été, ont assisté aux fenaisons et aux vêlages. Nous avons été la fierté d'un peuple et d'une nation. Souvenons-nous des textes de Ramuz: Le paysan, au sens vrai du mot, est l'homme des pouvoirs premiers; il a paru de bonne heure sur la terre et il dure encore. Pourrat, Giono, Thibon ont exalté, chacun à sa manière, l'homme à la bêche. marcel Arland voyait dans les paysans davantage qu'une classe, la race la plus riche en réserves et en possibilités, celle des hommes les moins artificiels, les plus vrais. (p. 304)
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[…] c’est le peuple des paysans en rang serré qui refuse soudain la servitude et l’humiliation.
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On ne les choisit pas, les femmes et les hommes qui nous sont chers. Ils sont là, ils nous tombent dessus et on s’en réjouit.
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À pleines larmes il pleura, saisi du trouble de pouvoir encore agir sur le monde, d’être en capacité de rendre la vie.
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Il affirmait que, pour soigner l’avenir, les agriculteurs devaient inventer des possibles, qui panseraient le cœur des hommes en même temps que les plaies du vivant.
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