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Critique de Charybde2


De la tragédie réelle d'un agriculteur en cavale abattu par les gendarmes en 2017, extraire la vérité technique et poétique d'un moment de bascule du monde, et pas uniquement du monde rural.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/09/22/note-de-lecture-pleine-terre-corinne-royer/

En mai 2017, un agriculteur du Charolais, en cavale pendant neuf jours après une série de contrôles administratifs l'ayant peu à peu conduit à la ruine et au désespoir, était abattu par les gendarmes. de ce qui est bien davantage qu'un « tragique fait divers » (dont on trouvera de relativement abondants compte-rendus dans la presse régionale de l'époque, mais aussi d'emblée dans Reporterre, ici, ou dans l'enquête rétrospective conduite par Florence Aubenas pour le Monde en août 2021, ici), Corinne Royer, dont on avait déjà beaucoup aimé par ici le superbe « Et leurs baisers au loin les suivent » de 2016, a su extraire un roman magnifique, rude et intelligent, complexe et poignant sous ses apparentes simplicité et brutalité.

Publié chez Actes Sud en septembre 2021, « pleine terre » pénètre avec une grande sensibilité (et une puissante mise en perspective documentaire, pratiquée à la fois avec discrétion et avec méticulosité) dans les interstices cruels d'un devenir agriculteur en plein vacillement, entre les errances multi-décennales d'un productivisme systématique ayant depuis longtemps oublié sa « bonne cause » initiale (nourrir la France, dégager des excédents exportables à l'échelle du pays, et utiliser l'agriculture comme une munition politique à l'échelle de l'Europe) pour se transformer en système d'auto-reproduction jusqu'au-boutiste, et les tentatives ou tentations d'échapper aux pires travers de ce système, en y intégrant les effets de fatigue, comme ceux des calculs politiques et locaux, d'où la simple avidité n'est pas toujours absente, loin de là – pas plus que l'incurie d'une administration acceptant souvent de ne pas questionner sa pratique née justement d'une politique ultra-productiviste jamais vraiment remise en question.

Sur des territoires ruraux arpentés en profondeur technique et humaine, dont certaines facettes hantaient encore récemment des textes pourtant aussi différents que le « Noir canicule » de Christian Chavassieux ou le « Banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs » de Mathias Énard, Corinne Royer devine et explicite le malaise vital d'une population, peut-être minoritaire mais elle aussi cruellement en quête de sens, entre résurgence d'un ancestral qu'il ne s'agit pourtant pas d'idéaliser, impératifs sociaux et économiques qu'il est si difficile de récuser, et besoin d'imagination poétique que les bottes estampillées TINA® d'une agro-industrie d'autant plus féroce qu'elle se sent attaquée (même fort modestement encore) n'ont de cesse de piétiner à peine esquissée. Bouleversant de pénétration romanesque, « pleine terre » parvient à sublimer le tragique réel d'un homme abattu au détour d'un chemin de campagne, par une certaine Loi et un certain Ordre.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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