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Critique de Matatoune


Poème, fresque historique, conte et roman, la seconde histoire d'Arnaud Rozan est tout à la fois ! du Ghana à Washington DC, Mémoires de Maisons blanches pose le problème de la nécessaire reconnaissance du préjudice subi au cours des siècles par la population Afro-américaine.

Par touches successives, associées à des oeuvres d'art diverses et particulièrement variées, Arnaud Rozan questionne l'Histoire américaine avec les Africains, devenus avec l'esclavage, Américains, en associant Joe Biden au moment de son investiture à une figure du folklore Africain. En effet, ce dernier, héros culturel, est censé capter la sagesse de l'Histoire avec sa calebasse. Appelé par ceux qui souffrent, Anansi partage son savoir même si son apparence prend des formes surprenantes.

Brins d'histoire
En remontant Pensylvania Avenue, Joe Biden, bientôt vieux roi fatigué, songe à la promesse faite à son fils, Beau. Alors, il voit apparaître Anansi, invisible aux autres, déesse invoquée pour sauver les âmes en peine, déguisée alors en clocharde, montrant une calebasse fendue avec un crabe bleu en son milieu. Est-ce que le vieux roi saura partager le message de la divinité qui porte le souvenir de tous ceux qui ont souffert pour bâtir le pays ? Lui qui connaît la souffrance de perdre un enfant !

Au fil d'un récit qui s'éclaire peu à peu, Arnaud Rozan présente ses Maisons Blanches, sortes de lieux de mémoire inexploités du pays.

J'en ai retenu quelques-unes. Il y a le Marais de Fort Prinzensyein avec sa citadelle blanche au pied de l'océan où des enfants deviennent esclaves pour démêler les filets et ramener plus de poissons.

Par ailleurs, Biden ne consomme que des filets de tilapia nappés de citron, d'huile d'olive et de cinq grains de sel. Car, il a horreur du poisson ! Néanmoins son cuisinier se doit d'avoir toujours prêt ces filets, pêchés dans des eaux très chaudes, accommodés de cette unique façon. Évidence, et pourtant nul n'y fait référence !

D'autres liens illustrent cette filiation entre le monde nouveau, avec son roi trop âgé, avec les enfants perdus du continent d'en face.

D'autres Maisons blanches apparaissent au fil des pages comme ce port d'Alexandria et son marché, le plus grand des Etats-Unis. Mais il y a aussi la construction de la véritable Maison Blanche, le Phare de Jones Point et même le Lafayette Square où aucune statue ne rappelle le marché qui s'y trouvait au début du XIXe siècle.

Que dire du Willard Hotel, situé sur Pensylvannia Avenue, à deux pas de la vraie Maison Blanche, qui est le lieu où Martin Luther King a rédigé son fameux discours. Il a hébergé nombre de futurs présidents pour leur dernière nuit de citoyen ordinaire. ..
Comme ce conte magnifique le démontre,
Les lieux ont une histoire que l'Histoire de l'Amérique ne retient pas. Pourtant tous les liens s'emmêlent pour former une pelote que plus personne ne file ! Pas assumés, pas revendiqués, ces endroits ne cessent de cogner leurs significations dans les mémoires, demandant reconnaissance pour, enfin, dépasser les traumatismes vécus ! Comme rien n'est dit, ils hantent chacun d'une manière, ou par son contraire, sans que la spirale ne puisse s'arrêter.

La première démocratie du monde peine à assumer son Histoire colonialiste et impérialiste. Et pourtant, cette dernière la constitue pleinement, autant pour les Afro-Américains que pour les Amérindiens. Arnaud Rozan nous le rappelle sous la forme d'un conte des temps modernes où la poésie est omniprésente et recouvre chaque situation décrite.

Arnaud Rozan a l'art des descriptions tricotées avec talent. Lire son texte c'est aussi accepter de se laisser bercer par un univers où les formes littéraires se mélangent, où le sens du récit joue à cache-cache avec le déroulement ordinaire, où la compréhension prend des chemins escarpés.

Il faut accepter de s'y perdre, de lâcher prise, pour se laisser embarquer dans un récit qui n'a rien de linéaire. En recherchant le sens d'un mot, sa portée se déploie. Et, la description d'un lieu, ailleurs, permet de retrouver le lien avec le récit.

Mémoires de Maisons blanches est un récit atypique ! J'y ai appris énormément de choses mais aussi appréhendé la souffrance des esclaves, la terreur des « enfants poissons » ainsi qu'une partie de l'histoire du 46e Président des Etats-Unis. Mais, ce sont les chemins déployés par Arnaud Rozan qui m'ont le plus fascinée dans cette complainte moderne du vieux roi et de la déesse bienveillante. Coup de coeur !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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