En temps normal, quand je vois un livre passer trop souvent sur les réseaux sociaux, ça me coupe toute envie de le lire. Avec le dernier roman d'
Agathe Ruga c'est un peu différent car cette sur-médiatisation réseau sociétale m'a au contraire poussée irrésistiblement vers ce livre mais tout en me coupant l'envie d'en parler. En parler pour dire quoi de plus, de différent, d'original ou de décalé ? Ca fait 15 jours que je me pose la question. Quinze jours que j'ai reposé ce livre et que je ne parviens pas à écrire une ligne à son sujet car chaque nouvelle chronique que je lis à son propos contribue à m'éloigner encore un peu plus de lui. C'est seulement parce que je me suis fait la promesse, le jour où j'ai créé mon blog, de publier un avis sur chacune de mes lectures que je me fais violence aujourd'hui pour vous parler de
L'homme que je ne devais pas aimer.
Si tout a déjà été dit ou presque sur ce livre, de façon admirable souvent et parfois mais très rarement critique, il reste une toute petite zone inexplorée : mon ressenti personnel, car s'il y a bien une chose singulière en littérature, c'est la manière dont un lecteur reçoit une oeuvre. Et sur ce point, vous pouvez tout imaginer et anticiper en tant qu'auteur ou éditeur, vous ne parviendrez jamais à entrer dans la tête de chaque lecteur, pas plus que dans son coeur. Alors que s'est-il passé dans ma petite tête en lisant la passion dévastatrice d'Ariane pour le ténébreux Sandro ? Pour vous l'expliquer, je suis obligée de revenir en deux mots au genre de ce livre.
Agathe Ruga, l'autrice, c'est peu ou prou Ariane, la narratrice. On peut toujours chercher à déceler où s'arrête la réalité et où démarre la fiction dans ce roman mais très sincèrement j'ai comme le sentiment qu'à part le prénom de ses protagonistes et peut-être son statut marital, Agathe n'a pas changé grand chose à sa propre histoire. C'est en tout cas de cette manière que j'ai reçu son roman et quand on fait de l'autofiction, j'imagine que l'on accepte justement que le lecteur puisse croire ou ne pas croire à la véracité des faits qui lui sont exposés. Donc dans l'hypothèse qui est la mienne, tout est vrai ou presque dans ce coup de foudre qui va faire voler en éclat la vie de famille qu'Agathe (ou Ariane si vous préférez) avait patiemment et amoureusement construite. le tendre mari ne fait plus le poids face au fougueux et inaccessible amant. Plus rien n'a de sens, n'existe et n'a d'intérêt pour la femme, la mère et épouse que son statut d'amante. Je ne vais pas revenir d'avantage sur l'histoire, sur la place des hommes dans la vie de l'héroïne, sur tout le pourquoi et le comment. Ils ont été si bien résumés, analysés et décortiqués par d'autres que je ne me sens pas de taille à me lancer dans la bataille.
Je préfère vous parler de la révélation que j'ai eue à la lecture de ce roman. Moi qui me considérais comme une lectrice n'ayant pas froid aux yeux, capable de lire n'importe quelle histoire sans sourciller, j'ai trouvé en Agathe une autrice capable de m'imposer une limite. Par deux fois j'ai posé son livre en me disant que ça allait trop loin, que c'était trop pour moi et puis j'ai fini par le reprendre mais avec une gêne rarement égalée. Il n'y a pourtant rien de sanglant ou de profondément dégueulasse dans ce livre, juste une autrice qui a décidé de se mettre à nu mais qui ne peut le faire qu'en embarquant toute sa famille avec elle. Comment parler de son aventure extra-conjugale sans évoquer en même temps ce gentil mari qui voit sa femme lui échapper, irrésistiblement attirée par les effluves d'un autre ? Comment évoquer cette jeune mère qui se noie dans son quotidien et qui tente par tous les moyens de fuir ses responsabilités sans évoquer ces petites filles qui lui pompent toute son énergie et l'empêchent d'être libre ? Comment enfin parler de son rapport compliqué aux hommes sans parler de ceux qui ont traversé son enfance et donc la vie de sa mère ? Agathe est un électron libre mais pas sans attaches. le choix qu'elle fait de s'exposer et d'écorner son image est un choix qui s'impose aussi à son entourage. Or Agathe n'est pas non plus une autrice comme les autres. Influenceuse de son état, elle publie régulièrement des photos où elle se met en scène avec des membres de sa famille sur les réseaux sociaux. Agathe n'a pas la distance qu'ont d'autres auteurs avec leurs lecteurs et c'est bien là que le malaise prend racine chez moi. J'ignore la manière dont son entourage a reçu le livre et ça ne me regarde pas, pas plus que ses histoires de coeur finalement. Alors pourquoi ai-je lu ce livre ? Parce qu'il se dégage de l'écriture d'Agathe quelque chose d'hypnotisant. J'ai été subjugué par son premier roman, lui aussi en grande partie autobiographique et il me tardait de voir ce qu'elle était capable de livrer dans le second. Avec le recul, je peux vous dire que c'est du lourd et que c'est drôlement culotté mais trop pour moi. Je viens d'atteindre ma limite de lectrice avec ce roman. Même si une partie de cette histoire est inventée, même si ce que l'on peut lire n'est pas l'entière vérité, pour moi le mal est fait car le doute s'instille dans l'esprit du lecteur. A la différence de personnages de fiction, le mari d'Ariane, ses filles et sa mère ne cessent pas d'exister une fois la dernière page du livre tournée. Et comme pour les personnages de fiction, je me suis pris d'empathie pour eux, il m'est dès lors douloureux d'imaginer la violence ressentie par les uns ou par les autres à la lecture de ces mots à l'honnêteté blessante. Peut-on tout dire ? Sans aucun doute mais sous cette forme cela représente un double risque car si on est maître des mots que l'on couche sur le papier, on n'est pas maître de la manière dont ils sont perçus par ceux à qui ils s'adressent, pas plus que par ceux qu'ils concernent. Et de vous à moi, j'ai eu un peu l'impression que l'autrice sacrifiait sa famille sur l'autel de la littérature. Est-ce que c'est courageux ? Peut-être, certainement, je ne sais pas, ma réflexion étant totalement annihilée par ce que je perçois comme un déballage cruel. Est-ce de la littérature ? Assurément. L'autrice a-t-elle du talent ? Sans aucun doute. Est-elle à l'aise dans ce registre de l'autofiction ? Oh que oui et même beaucoup trop. Depuis toujours j'entretiens un rapport compliqué à l'autofiction, trouvant que peu d'intérêt à la vie tourmentée de ces auteurs très autocentrés. J'ai toujours préféré de très loin la fiction mais sans vraiment comprendre pourquoi. Aujourd'hui je le sais grâce à Agathe, j'ai enfin compris que pour moi, la fiction était la seule manière de me faire tout supporter, jusqu'à l'insupportable, de me faire tout imaginer jusqu'à l'inimaginable, de me faire tout ressentir jusqu'à l'insoutenable car je conserve dans un coin de mon esprit que ces oeuvres là au moins, n'ont pas causé de dommages collatéraux. Un peu comme ces cosmétiques qui n'ont pas été testés sur des animaux finalement si je peux oser un tel parallèle. Voilà, je vous ai livré mon ressenti, non sans difficulté car je sais pour l'avoir lu sur sa page Instagram, à quel point cette autrice s'épanouit dans ce genre. Loin de moi l'idée de vouloir l'en détourner car elle est faite pour ça, c'est évident et de nous deux, celle qui n'est pas faite pour ça, c'est moi. Ca aussi, ça me paraît désormais évident.
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