La maison Golden

Pour sa part, elle vivait modestement dans un petit deux-pièces qu’elle louait à Battery Park City. “En réalité je n’occupe qu’une seule pièce, faisait-elle remarquer, l’autre est pour les vêtements et les chaussures.” C’était une pièce d’angle avec de grandes fenêtres, de sorte que le fleuve était l’œuvre d’art accrochée au mur avec la brume qui se formait à l’aube, les blocs de glace en hiver suivis par les premières voiles du printemps, les cargos, les remorqueurs, les ferries, le voilier de course arborant le pavillon arc-en-ciel du club nautique gay local, et son cœur débordait d’amour pour sa ville chaque fois qu’elle regardait cette vue, jamais deux fois la même, le vent, la lumière et la pluie, la danse du soleil et de l’eau, l’appartement de l’immeuble d’en face avec son grand télescope en cuivre à la fenêtre donnant directement sur son lit, dont la rumeur disait qu’il appartenait à Brad Pitt qui s’en servait comme pied-à-terre quand il voulait échapper à sa femme, et la dame verte à la torche qui surveillait le tout d’un peu plus loin, éclairant le monde. “Cette ville est l’amour de ma vie, me dit-elle dès le début. Elle serait jalouse si un type s’installait chez moi.”

Ces confessions, mon sentiment d’infériorité sur le plan créatif, son impression de manquer de bases intellectuelles, nous rapprochèrent. Nous sommes tous ainsi faits que nous nous éprenons des qualités de l’autre, mais notre amour devient plus fort et plus durable quand nous nous éprenons des faiblesses de l’autre. Nous plongeâmes dans l’amour qui se trouvait juste sous la surface de notre amour comme de l’eau sous de la glace et nous comprîmes que si nous nous étions jusqu’alors bien amusés ensemble, nous faisions seulement du patin à glace alors que maintenant nous nous y trouvions à la plus grande profondeur possible. Je n’avais jamais éprouvé quelque chose de semblable, elle non plus, et nous nous contemplions mutuellement avec une sorte d’incrédulité heureuse.

Le vieil homme a toujours été convaincu de l’instabilité des situations, il a toujours su que, si solide que le sol puisse sembler sous vos pieds, il peut à tout moment se transformer en sables mouvants et vous engloutir.

Il y a toujours, au début, quelque douleur à soulager, quelque blessure à soigner, quelque vide à remplir. Et toujours, à la fin, l'échec, la douleur incurable, la blessure qui ne guérit pas et le vide mélancolique persistant.

- Dans un sens, le Kansas ne remet pas en cause la théorie de Darwin, fit remarquer ma mère d'un air songeur. Ce qui prouve que ce ne sont pas toujours les mieux adaptés qui survivent. Quelques fois au contraire ce sont les plus nazes.

Mais l'histoire est ce tribunal devant lequel tout les hommes, mêmes les empereurs et les princes, doivent finir par comparaître.

P405 : Les chantiers étaient devenus la nouvelle forme d'art brutaliste, dressant leurs installations partout où se portait le regard. De grands immeubles s'effondraient et de nouveaux chantiers de construction surgissaient. Tuyaux et câbles jaillissaient des profondeurs et y replongeaient. […] Les chantiers de construction, c'était là l'art de faire comprendre à la ville qu'elle était un organisme fragile à la merci de forces contre lesquelles on ne pouvait rien. Les chantiers de construction étaient le moyen de donner à la puissante métropole des leçons de vulnérabilité et d'impuissance. Les ouvriers de ces chantiers étaient les grands artistes conceptuels de notre temps et leurs installations, leurs trous barbares dans le sol, inspiraient non seulement la haine - parce que la plupart des gens détestaient l'art moderne - mais aussi l'effroi. […] Vraiment, c'était la trans-avant-garde à l’œuvre.

La vie et la mort n'ont aucun sens, pas plus l'une que l'autre. Elles apparaissent ou disparaissent pour des raisons impondérables et dont il n'y a aucun enseignement à tirer. La sagesse n'existe pas en ce monde. Nous sommes tous les jouets du destin. Voici la terre, elle est si belle et nous avons tant de chance d'y vivre tous ensemble et nous sommes si stupides et ce qui nous arrive est tellement stupide, nous ne méritons pas cette chance stupide.

Le jour de l'investiture du nouveau président, alors que nous craignions qu'il fût assassiné tandis qu'il avançait, main dans la main avec sa femme exceptionnelle au milieu d'une foule en délire, et alors que tant d'entre nous étions au bord de la ruine à la suite de l'explosion de la bulle immobilière, à l'époque où Isis était encore une déesse mère égyptienne, un roi sans couronne, âgé d'environ soixante-dix ans, en provenance d'un pays lointain, arriva à New York accompagné de ses trois enfants sans mère pour prendre possession de son palais d'exilé, se comportant comme si tout allait parfaitement bien dans le pays, dans le monde et dans sa propre histoire.

Que les fils meurent avant le père, disait-il, c’est comme si la nuit tombait quand le soleil brille encore dans le ciel.