Idaho est le premier roman d'
Emily Ruskovich. Et à la lecture, c'est difficile à croire tant il est maîtrisé !
Le roman est construit autour de plusieurs narrateurs et alterne entre différentes époques de façon aléatoire. Cette construction peut paraître décousue mais je crois qu'il n'en est rien, car la maitrise de l'autrice est remarquable et elle nous fait naviguer à travers les époques et les narrateurs sans jamais perdre le lecteur.
Concrètement, il s'agit du récit d'une famille, Wade, Jenny et leurs deux filles, May et June, qui va voler en éclat le jour où May est tuée et June disparaît. Je n'en dirais pas plus sur l'idée de départ car, selon moi, il vaut mieux le découvrir sans trop en savoir.
La construction originale du roman permet à l'autrice de multiplier les points de vue sur l'histoire et de tisser la toile de son récit en égrenant des informant ci et là, faisant naître de nouvelles questions, brouillant les pistes. Tout au long du récit, on veut comprendre, on cherche des réponses. Mais peut-on expliquer l'inexplicable ? Faut-il nécessairement tout comprendre, décortiquer, analyser pour continuer à avancer ?
Sur l'événement tragique qui est au centre de l'histoire, vous n'aurez pas d'explications car ce n'est pas, à mon sens l'objectif de ce livre.
Emily Ruskovich dresse ici un incroyable roman sur la mémoire, ses mécanismes, ses défaillances, sur nos souvenirs dont la réalité est parfois discutable, altérée par le temps, la maladie, impactée par les évènements vécus depuis, par des associations d'idées parfois inconscientes, par les souvenirs des autres qui se mêlent aux nôtres. La construction décousue du récit prend alors tout son sens, elle illustre, selon moi, la confusion d'une mémoire embrumée, notamment celle de Wade, atteint de démence précoce.
L'autrice sonde l'âme humaine comme j'ai rarement lu cela, allant chercher au plus profond de ses personnages, complexes, leurs plus intimes souffrances, leurs doutes les plus enfouis, leurs plus bas instincts, découpant au scalpel la moindre émotion, le moindre ressenti : la jalousie, la curiosité, la culpabilité, la solitude, la douleur, l'amitié, le sacrifice, l'amour et le pardon.
« Elle a pris le passé de Wade et l'a étalé devant elle, faisant de son propre avenir un retour en arrière, alors même que ce passé disparaît. Ce lent effacement, cette ligne blanche traversant l'obscurité de la mémoire de Wade, voilà ce qu'Anne suivra toute sa vie durant. Et, à n'en pas douter, cela la mènera jusqu'aux portes de sa propre prison secrète. »
« Quand on aime quelqu'un qui est mort, et que sa mort disparaît parce qu'on ne peut plus s'en souvenir, il ne vous reste que la douleur d'un amour non partagé. »
C'est un roman qui m'a énormément marquée, remué, les ressentis de certains personnages m'ont vraiment touchée en plein coeur. J'espère que l'autrice en écrira d'autres !