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Citations sur Le temps des orphelins (19)

À l'évidence, nous n'allions pas mourir à la guerre, nous n'avions pas eu cette aubaine-là : tôt ou tard, dans une semaine ou dans un mois, nous allions rentrer au pays, retrouver nos familles, reprendre une activité professionnelle, renouer tant bien que mal avec le fil de l'existence au quotidien, mais tout cela serait simulacres, poses, subterfuges destinés à donner le change : au plus profond de nos êtres, là où s'efface le bal des apparences, nous serions morts, aussi morts que Roosevelt et tous les autres. Aussi longtemps que nos cœurs continueraient de battre, nous porterions, solitaires, le poids de notre propre catafalque, de cette infinie douleur, de cette impuissance, et pendant que les jours s'écouleraient dans la normalité d'une vie douce et tranquille, dans le parfait scintillement d'un foyer baigné de lumière et de chaleur, traversé de cris d'enfants et de miaulements de chats, d'aboiements de chiens, à chaque heure de la journée, à chaque seconde même, comme des automates aveugles destinés à ne jamais revoir la lumière, nous retournerions nous abreuver au puits de ce chagrin.
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À cette heure-ci, dans cette traversée de la ville, où, malgré les odeurs et les trains bondés, tout le monde prétendrait, à n'en pas douter, n'avoir rien su des crimes perpétrés à Buchewald, des tortures infligées aux prisonniers ni du traitement réservé aux Juifs, nous n'étions plus ni rabbin ni capitaine de la Troisième Armée mais deux hommes, deux simples individus bien trop ébranlés dans leurs certitudes existentielles pour ne pas céder aux appels d'un cœur saturé de vengeance. Oui, cette nuit-là, pour la seule et unique fois de mon existence, dans la quiétude de cette ville historique mais apparemment sans histoires, je connus la haine et l'envie d'ôter la vie à de parfaits inconnus. Je les voulais morts, comme je l'étais moi-même, comme tout le monde ici-bas, comme les morts de cet après-midi, comme ce dieu qui, à force d'indifférence, avait cessé de m'intéresser. Probablement n'étais-je plus moi-même.
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Que pouvait-il y avoir de si détestable chez nous autres Juifs pour être haïs de la sorte, au point qu'on veuille exterminer jusqu'au dernier de nos enfants ?
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J'avais appris à ne jamais haïr les hommes. À toujours les considérer comme les victimes innocentes d'un monde bien trop violent. À toujours les excuser de leurs méfaits, à chercher un moyen de les sauver des ténèbres. À leur indiquer, sans relâche, le chemin de la lumière et de l'espérance. À les conjurer de se montrer à la hauteur de ce dieu qui les avait créés. Mais ce soir-là, alors que je quittais un camp pour en rejoindre un autre, dans la solitude de cette nuit de printemps encore chargée des soupirs glacés de l'hiver, je me demandai peut-être pour la première fois si je n'avais pas fait fausse route, s'il n'existait pas un mal qui rongeait le cœur des hommes et les amenait à se conduire comme des êtres dépourvus d'humanité, monstres dont la conduite ne pourrait jamais être rachetée, ni dans ce monde ni dans le suivant.
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De nouveau, comme une évidence, je sentis que je ne pourrais pas. Que ce qui m'attendait derrière cette porte exigerait de moi des forces que je ne possédais pas. Qu'il me fallait renoncer et avouer à Fontana, à l'état-major, à Ethel, à notre bébé, au capitaine Reuben, au fantôme de mon père, aux anciens prisonniers, au monde entier, à Dieu lui-même, que c'était une tâche impossible à accomplir tant j'étais faible, lâche, pleutre, incapable d'embrasser le poids de toute cette souffrance. Qu'on me fusille sur-le-champ pour désertion, je ne m'y opposerais pas.
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« Lorsque nous nous sommes connus, ce chimpanzé d’Hitler n’était même pas au pouvoir, tu te rends compte ? Tout juste si nous savions qui c’était. Nous étions si jeunes. Et si naïfs. J’ai parfois l’impression que ce temps n’a jamais existé et que la guerre a tout englouti.»
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Lorsque, des années plus tard, ils se souviendraient de cette guerre, ce ne serait ni les plages ensanglantées de Normandie, ni la lente et interminable avancée dans les Ardennes, ni la libération de Paris auxquels ils songeraient mais à ce camp, à cette matinée d’avril où leurs vies avaient basculé.
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Aucun mot ne saurait traduire l'extrême dénuement des survivants, la misère des corps et des visages, le vide des regards, la flétrissure des peaux, la tonsure des crânes, la raideur des os, l'abandon de la faune, l'absence de toute chose qui, de près ou de loin, pouvait laisser penser que la vie avait étendu un jour son ombre par ici.
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Plusieurs fois, j'essayai de prier mais c'était, je m'en rendis compte bien vite, impossible. Pourquoi prier ? Les oraisons à peine entamées mouraient dans ma bouche. Les mots n'avaient plus de sens, les versets censés les consoler ressemblaient à des chants funèbres adressés au Dieu d'Israël qui me dégoûtait. Comment avait-Il pu supporter de voir Son peuple traité de la sorte, et si Son silence était une forme d'assentiment, une punition infligée aux fils d'Abraham et de Moïse pour L'avoir trahi ou pour Lui avoir manqué de respect, alors ce Dieu-là ne m'intéressait plus, alors ce Dieu-là, je Le laissais à d'autres, alors ce Dieu-là était un monstre, un fou, un tortionnaire.
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La souffrance humaine m'était familière, je l'avais déjà expérimentée sous toutes ses formes quand j'officiais comme rabbin. J'avais vu l'injustice frapper au moment où l'on s'y attendait le moins, jeter dans le désespoir un homme atteint de cécité ou une femme impuissante à procréer. J'avais vu les effets de la maladie, quand le corps supplicié n'en peut plus de mourir et met des semaines à s'en aller. J'avais assisté à des veillées funéraires parmi les sanglots de proches consumés de tristesse. J'avais embrassé des fronts à l'heure du dernier voyage. J'avais contemplé, impuissant, les ravages de la pauvreté, de la misère, de la faim quand des familles entières frappées par le chômage, les fermetures d'usines, se retrouvaient démunies, presque à la rue. J'avais rendu visite à des parents dont l'un des enfants, atteint d'un mal incurable, agonisait dans son berceau. J'avais senti l'odeur de la mort dans des appartements fétides où, dans la plus grande des solitudes, des vieillards expiraient. Par dizaines, j'avais signé des actes de décès, refermé des cercueils, jeté une dernière pelletée de terre sur des tombes à peine creusées, et depuis mon incorporation, depuis ce jour où j'avais posé un pied en Normandie, j'avais eu à composer, jour après jour, avec l'effroi de la guerre. Rien ne m'avait été épargné, ni la mort de civils innocents surpris dans l'effondrement de leurs immeubles, ni celle absurde, rencontrée au détour d'un platane au retour d'une mission, ni la désolation de jeunes soldats fauchés par des éclats d'obus, terrassés par des balles, broyés dans le réceptacle même de leurs chars, mais jamais, non jamais, durant tous ces mois, je n'avais eu à me confronter à un tel spectacle. C'était toujours la mort, la même mort à l'œuvre, mais je ne la reconnaissais plus, comme si la mort était morte à elle-même, remplacée par autre chose de bien plus atroce, plus tranquille, une simple routine.
Sûrement est-ce à tout cela que j'ai pensé quand j'ai suivi, tel un automate, les pas du capitaine, pas qui ont fini par nous mener au Petit Camp, ce camp dans le camp, cette horreur dans l'horreur.
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