Citations sur Sibir. Moscou-Vladivostok, mai-juin 2010 (29)
Est-ce qu’en Russie on ne ressentirait pas plus vivement qu’ailleurs ce que nous ressentons tous, aujourd’hui, cette crise « pas seulement au niveau matériel mais au niveau humain » ? J’y pense souvent, de façon parfois obsédante. Des conditions inédites de développement, de sécurité, de santé, de bonheur même nous sont données, dans les pays développés évidemment : mais nous sentons en même temps que quelque chose ne va pas « au niveau humain ». Qu’il est peut-être en train de se passer en ce moment dans l’histoire du monde quelque chose de terrible, dont nous ne prenons conscience que partiellement. Une destruction très profonde, grave, dangereuse, qui affecte en nous cette fibre par laquelle nous pouvions faire passer de l’un à l’autre des sentiments essentiels, la pitié, la compassion, la compréhension. Une atrophie de ces capteurs d’humanité, en somme, dont les hommes ont besoin pour survivre. Ces dispositions fondamentales, la nécessité les avait forgées, car nul ne pouvait y survivre sans la solidarité, l’attention aux autres ; dans des sociétés où la liberté, le confort, la sécurité sont à peu près assurés, on croit qu’on en a plus besoin. C’est faux : on meurt de leur absence.
Trop souvent la vérité sur l'URSS est dite avec haine et le mensonge avec "amour", écrivait Gide en 1937. Comme cette phrase de Gide est vraie ! Il suffit de mettre Russie à la place d'URSS.
(Le Volga) Ô beauté du monde reflété dans les livres ! Comme la vue d'un fleuve se fait attendre quand le souvenir des livres l'appelle.
M.d. K. cite cette phrase de Nicolas Bouvier:"On croit qu'on va faire un voyage,mais bientôt c'est le voyage qui vous fait,ou vous défait."
Nous autres, Occidentaux un temps (ou longtemps) séduits par le communisme, nous « en étions revenus » […]. Mais cet élan, cette approbation plus tard suivis d’un rejet vif, prononcé, irréfutable, cela ne nous avait rien coûté : nous avions joué avec la vie des autres, nous avons été complices de leur mort.
Ce qui m’importe à moi, c’est de bien faire comprendre que l’écrivain n’est pas un être d’exception. Sa vie importe moins que ses livres. Comme le disait récemment Javier Cercas, dans une rencontre où j’étais avec lui, « si l’écrivain est plus intéressant que son œuvre, alors ce n’est pas un bon écrivain ». Ecrire, ce n’est pas un don, ou une supériorité, c’est un état d’attention au monde – et par monde j’entends aussi es livres, et les morts.
Ces beaux chants de soldats, qui ne sont pas de la musique militaire, mais exactement l’inverse : ce qui reste d’humain et de fort dans le soldat quand une guerre inhumaine fait rage.
Chaque voyage déborde et déteint sur le précédent, mais cette confusion ne me gêne pas, elle aide à donner le sentiment juste, sinon exact, de ce qu’est pour moi « la Russie » : quelque chose que je récris sans cesse, comme tous les autres moments de ma vie.
Malgré la bonne volonté et la compétence de nos guides, ce qu’on aura le temps de nous en dire sera forcément insuffisant, et c’est inévitable, il aurait fallu travailler davantage avant le départ, apporter des livres, de la documentation … Mais, je le sais aussi : ce qui me tourmente durant le voyage, sans jamais en gâcher le bonheur parfait, trouvera sa résolution plusieurs mois après, je l’ai déjà vécu et pratiqué. Je sais qu’une expérience m’attend, la plus haute que pour ma part je puisse connaitre, et vers quoi probablement tend toute ma vie : cette forme de connaissance du monde qu’on atteint lorsqu’au temps du voyage vécu succède le temps du voyage dans les livres et qu’on entreprend le récit de leur double et réciproque mouvement d’approfondissement.
Des jeunes filles en costume traditionnel, présentant le pain et le sel, des sourires, des visages roses de joie : notre visite est un événement. Tout le monde ici a fait un effort de toilette, beaucoup de blouses de taffetas, de costumes tailleurs.