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Critique de DianaAuzou


PLUMES FEMININES 2022
REVER DEBOUT – LYDIE SALVAIRE****
« Se faire quichottiser », quoi de plus parlant pour dire que « tout rêve est une lutte » ?, que rêver debout n'est pas une contradiction mais une belle façon d'agir, se déconfiner, faire face au monde, y mettre nos rêves.
« Est-il insensé de considérer que la littérature n'est pas lettre morte, parure de cheminée, boniment inutile, mais plutôt lettre vive, ardente, expérience intime qui bouleverse la vie ? »p.9

Lydie Salvayre commence fort son livre Rêver debout, elle accuse Cervantes d'avoir créé son personnage, Don Quichotte comme un être farfelu, chimérique, fou, la risée de tous, « un être qui inspire moins la terreur que la moquerie, un être vulnérable et facile à briser. » p.25
Quinze chapitres en guise de lettres adressées à l'auteur espagnol pleines de fougue, de révolte, et de compassion, dans une langue pittoresque, haute en couleurs, un style enlevé, passionné, un mélange de langue soignée et d'expressions fortes, populaires ou familières dans un agencement qui leur rend justice et leur donne encore plus de valeur.
Lydie Salvayre se fait le porte parole de Don Quichotte et de Sancho Panza, du rêve, du courage, de la passion et en même temps de la raison, de la tempérance, d'un esprit terrien solide et de bon sens.
« Vous vouliez offrir aux lecteurs un Quichotte piteux, eh bien Monsieur, c'est raté. Votre Quichotte est tout simplement touchant. Sa fragilité dans ce monde de brutes ne peut que nous attendrir, tout en nous amenant à réfléchir sur les raisons de la violence qu'il endure. » p.43 « S'il n'a pu accomplir de grandes choses, il est mort de les avoir entreprises. » p.45
« Pourquoi les gestes qui ont quelque noblesse appellent-ils autant de haine ? »p.26
Et voilà Lydie Salvayre partie en croisade pour essayer de sauver la foi dans une utopie, une vérité pour demain, un rêve lucide et révolté pour maintenant car « le rêve contourne astucieusement la censure, c'est la toute son intelligence. » p.33
Il faut que la littérature s'incarne dans le quotidien, dans les geste, dans notre agir. Cette littérature dont Don Quichotte s'est abreuvé pendant de longues années, « il va la porter à la vie, il va la jeter à l'air libre, il va la secouer, il va l'épousseter… Et qu'elle vive ! Qu'elle vive bon Dieu ! » Et Lydie Salvayre de continuer « Il n'y a pas d'autre poésie que l'action réelle, écrivait dans son livre Qui je suis, l'insolent Pier Paolo Pasolini. »p.32
« Don Quichotte va exister enfin. Mais exister, s'affronter, se cogner au vivant, s'y blesser, s'engager dans cette putain de vie qui peut nous causer autant de mal que de bien, cela ne se fait pas, vous le savez mieux que quiconque, sans écorchures ni douleurs. » p.37
Le livre hommage et manifeste devient un pont entre le 17e siècle et le nôtre, un miroir pour nous tous et notre époque « Puis-je vous dire Monsieur, que quatre siècles après, les choses ont fort peu évolué, même si elles ont pris des formes plus insidieuses et plus suaves en apparence, d'autant plus suaves qu'elles sont à présent presque assurées de gagner, je veux dire, de nous conduire au désastre. » p.27. Les comparaisons multiples avec notre époque, dont les exemples sont plus qu'éloquents, renforcent, si c'était encore nécessaire, une évidence, celle du caractère cyclique de la vie qui revient à chaque fois à des niveaux différents.

En grandes enjambés Lydie Salvayre passe d'un siècle à l'autre et se surprend d'être encore étonnée par la récurrence des choses, elle en fait la preuve à Monsieur Cervantes qui n'aura pas l'occasion de la vivre.

Le texte est aéré, les retours à la ligne fréquents, quelques phrases courtes respirent mieux seules sur une ligne, une façon de doublement souligner une affirmation autant qu'une interrogation ; il en résulte une cadence soutenue, une atmosphère forte.
Le verbe est rageur, les répétitions arrivent à coups de matraque soutenues par un style rhétorique. le ton lyrique, enjoué, emporté est tendresse immense et fouet redoutable, il est réveil de consciences, encore un que je salue tout bas. Lydie Salvayre et le Quichotte dont elle fait l'éloge dérangent « gravement le bel ordre qui règne » p.74. Je les salue aussi. « Etre en mouvement, être vivant, parler, rire , respirer, se battre, c'est forcément ébranler cet ordre immobile et parfait. » p.75. Don Quichotte est pulsion vitale, Lydie Salvayre aussi.
Sancho « sait faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il est l'homme de la voie moyenne . L'homme des arrangements et des renoncements. » Il est aussi « le courage de la fidélité...le courage têtu de persévérer envers et contre tout au nom de l'amitié. »p.130. le plus humain des humain il réunit toutes nos oppositions d'ange et de bête.
Don Quichotte et Sancho, couple inséparable comme les siamois, comme nos contraires et comme tout oxymore, trouvent ce sens du merveilleux normal « cette faculté à reconnaître candidement le beauté dans les êtres et le monde avec chaque jour les yeux neufs d'un enfant », et cette faculté, continue, Lydie Salvayre, « est pour nous les humains du XXIe siècle qui en sommes privés, un bienfait des plus précieux. »p.145
Curieusement ou pas, le livre de Cervantes est accueilli à l'époque avec « la plus parfaite indifférence ». Alors l'auteur imagine un pamphlet anonyme, une satire de son propre livre et le résultat : un triomphe sans précédent. Tourner en dérision la littérature chevaleresque fait rire et le succès ne se fait pas attendre.

Des antiphrases, ainsi appelées par l'auteure, viennent accuser de ce pourquoi elle admire Miguel de Cervantes Saavedra. Un livre neuf et stimulant qui éveille « mille résonances et tout un monde de pensées, d'images et de questionnements ».
Rêver debout est un livre grinçant, un livre amour adressé à un auteur et à la littérature « car c'est grâce aux brèches ouvertes par le Quichotte et les allumés de son espèce dans les murs qui nous cernent, que notre monde reste encore vivable et encore désirable. Monsieur de Cervantes, merci. »
La gouaille de Lydie Salvayre salue les humains femmes et hommes à l'esprit libre et la littérature qui les a rendus éternels ainsi que les femmes et les hommes qui ont créé la littérature celle qui se transmet qui bouleverse émeut interroge depuis des années, des décennies et des siècles. Elle appelle les grands noms dont les écrits ont secoué le monde et en même temps fustige les « littérateurs fielleux », les « faiseurs de rimailles », et les écrivains dont « le néant » des pages est affligeant.
Et pour finir, une citation de William Faulkner, un des écrivains préférés de Lydie Salvayre, qu'elle ressent résonner avec force dans le Don Quichotte de Cervantes :
« Ecrire c'est comme craquer une allumette au coeur de la nuit en pleine forêt… La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mesurer l'épaisseur de l'ombre. » p.190
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