Marie-Noëlle Drouet, dite "
Minou Drouet", était une poétesse prodige qui a connu son heure de gloire (et de déboires) au milieu des années 50 quand, âgée de neuf ans, elle a été propulsée sur le devant de la scène littéraire parisienne avec son premier recueil de poèmes "
Arbre, mon ami", publié par Julliard.
Stéphan Sanchez, après être tombé presque par hasard sur le nom et l'oeuvre de cette écrivaine, a pris sa carrière comme point de départ pour le présent ouvrage. Roman ? Récit biographique et autobiographique ? Essai ? La question de la nature de ce livre est difficile à trancher, et peut-être serait-elle secondaire si je n'avais pas senti que l'indétermination avait un impact sur ma réception et perception personnelles de cet ouvrage.
Au niveau de la forme, "Deux enfances" se présente comme une suite de lettres que
Stéphan Sanchez écrit à l'écrivaine pour essayer de porter sa lumière tantôt objective tantôt subjective au mystère
Marie-Noëlle Drouet. Car, si l'ascension de cette dernière a été fulgurante dès la parution de son premier recueil, un scandale a rapidement éclaté, mettant en cause la mère adoptive de la petite fille, qui, selon certains, serait à l'origine des poèmes. En effet, Sanchez donne quelques exemples de l'écriture de Drouet, et aujourd'hui encore, on est – je suis – frappé par la maturité, la richesse, la profondeur de ces textes. Comment se peut-il qu'une si jeune enfant accouche d'une poésie aussi aboutie ?
Partant de là, Sanchez retrace donc dans ses lettres la vie de l'écrivaine, ses débuts littéraires, la polémique ainsi que sa résolution (temporaire car d'aucuns continuent à douter, malgré de nombreuses preuves du contraire, que Drouet ait écrit ses poèmes elle-même), et entremêle cette ébauche biographique avec des bribes autobiographique pour expliquer et analyser la fascination que ce curriculum vitæ déclenche en lui et les raisons pour lesquelles il se sent si proche de la jeune fille de jadis et la femme d'aujourd'hui (
Marie-Noëlle Drouet a mis fin à sa carrière d'écrivaine à la fin des années 70, ne publiant qu'une autobiographie en 1993).
D'accord, "Deux enfances" est bien écrit – je ne m'attendais pas à moins de la part de cet auteur, très jeune, lui aussi –, c'est entraînant, et ça m'a également rendu curieux d'en savoir plus sur le « cas » (désolé pour ce vilain mot)
Marie-Noëlle Drouet, mais surtout de lire par moi-même les écrits de cette écrivaine (je rejoins
Stéphan Sanchez, un retirage de ses livres seraient, en effet, une excellente idée).
Il y a un « mais », cette fois. Passons sur mes doutes initiaux quant à l'intérêt d'avoir recours aux lettres. La technique peut toujours s'avérer intéressante, le côté anachronique d'une communication autre qu'un e-mail, message Whatsapp, texto peut apporter carrément une espèce de fraîcheur tellement rédiger des lettres est tombé dans l'oubli. Je ne suis toujours pas convaincu que, dans le cas présent, c'eût été un choix judicieux, mais bon.
En revanche, ce livre est, pour le coup, vraiment trop court. Je n'ai pas pu me départir de la sensation que
Stéphan Sanchez n'a pas vraiment osé, dans ce livre. Osé quoi, me demanderez-vous ? Osé aller au bout, au fond des choses. Les passages sur
Marie-Noëlle Drouet sont restés trop cliniques, trop factuels, un peu comme si l'on rédigeait une entrée pour Wikipedia et la découpait en plusieurs bouts – un par lettre. Les paragraphes « miroir » consacrés aux bribes autobiographiques de l'auteur sont, eux aussi, trop succincts, pas assez étoffés. J'ai senti que la vie de cette écrivaine avec ses débuts d'enfant prodige aurait pu faire un excellent roman. Il y avait là une matière première abondante et prometteuse, et nul besoin de réduire Drouet au rôle d'objet – faire d'elle le sujet en romançant sa vie, ça, ça aurait pu donner un résultat satisfaisant. de même, la mise en parallèle avec la vie de
Stéphan Sanchez, en forme romancée, aurait pu m'entraîner davantage et, pour peu qu'elle soit bien exécutée, me soutirer des louanges plus élaborées. En l'état, mon impression était qu'on était resté sagement à la surface des choses sans vraiment trop creuser.
Voilà donc ce qui m'a manqué, dans cet ouvrage. le côté romancé. le côté roman. Bien sûr, en tant qu'auteur, il faut que l'on se donne l'autorisation de s'embarquer sur cette voie, notamment quand on s'attaque à une personne qui non seulement est réelle mais surtout qui est toujours vivante. Il faut aussi que l'on prenne une certaine distance avec son vécu pour transformer sa propre vie en paragraphes de roman. Romancer, et c'est là la beauté de l'entreprise, c'est souvent pas seulement broder autour de faits et événements réels, mais inventer, créer, enlever, ajouter, jusqu'à ce que l'on obtienne un résultat qui entraîne lectrices et lecteurs. Malheureusement, dans ce livre, je suis resté sur ma faim, et j'ai donc trouvé la lecture agréable, mais elle ne m'a pas transporté.
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