Citations sur Ô mon George, ma belle maîtresse (Correspondance - Alfre.. (87)
En vérité, on dit que le temps guérit tout — j'étais cent fois plus fort le jour de mon arrivée, qu'à présent. Tout croule autour de moi. Lorsque j'ai passé la matinée à pleurer à baiser ton portrait, à adresser à ton fantôme des folies qui me font frémir, je prends mon chapeau, je vais et je viens, je me dis qu'il faut en finir d'une manière quelconque.
À qui dire ce que j'ai dans l'âme?
Fais ce qui te plaît, ris et pleure à ta guise, mais le jour où tu te retrouveras quelque part seule et triste, comme à ce Lido, étends la main avant de mourir et souviens-toi qu'il y a dans un coin du monde un être dont tu es le premier et le dernier amour. Adieu mon amie, ma seule maîtresse. Écris-moi, surtout, écris-moi.
Que je t'aie inspiré de l’amour ou de l'amitié, que j'aie été heureuse ou malheureuse avec toi, tout cela ne change rien à l'état de mon âme à présent. Je sais que je t'aime, et c'est tout. Mais non pas avec cette soif [douloureuse] de t'embrasser à toute seconde, que je ne pourrais satisfaire sans te donner la mort. Mais avec une force toute virile et aussi avec toutes les tendresses de l'amour féminin. Veiller sur toi, te préserver de tout mal, de toute contrariété, t'entourer de distractions et de plaisirs, voilà le besoin et le regret que je sens depuis que je t'ai perdu... pourquoi cette tâche si douce et que j'aurais remplie avec tant de joie est-elle devenue peu à peu si amère et puis tout à coup impossible? Quelle fatalité a changé en poison les remèdes que je t'offrais? Pourquoi, moi qui aurais donné tout mon sang, pour te donner une nuit de repos et de calme, suis-je devenue pour toi, un tourment, un fléau, un spectre? Quand ces affreux souvenirs m'assiègent (et à quelle heure me laissent-ils en paix?) je deviens presque folle. Je couvre mon oreiller de larmes.
Aimez ceux qui savent aimer, je ne sais que souffrir. Il y a des jours où je me tuerais ; mais je pleure; ou j'éclate de rire, non pas aujourd'hui, par exemple.
Adieu George, je vous aime comme un enfant.
Tu ne te reprocheras jamais ces deux heures si tristes que nous avons passées. Tu en garderas la mémoire. Elles ont versé sur moi un baume salutaire. Tu ne te repentiras pas d'avoir laissé à ton pauvre ami un souvenir qu'il emportera et que toutes les peines et toutes les joies futures trouveront comme un talisman sur son cœur entre le monde et lui. Notre amitié est consacrée, mon enfant. Elle a reçu hier, devant Dieu, le saint baptême de nos larmes. Elle est immortelle, comme lui. Je ne crains plus, ni n'espère plus rien. J'ai fini sur la Terre. Il ne m'était pas réservé d'avoir un plus grand bonheur. Eh bien, ma sœur chérie, je vais quitter ma patrie, ma mère, mes amis, le monde de ma jeunesse ; je vais partir seul, pour toujours, et je remercie Dieu.
Exercer les nobles facultés de l'homme est un grand bien, voilà pourquoi la poésie est une belle chose. Mais doubler ses facultés, avoir deux ailes pour monter au ciel, presser un cœur et une intelligence sur son intelligence et sur son cœur, c'est le bonheur suprême. Dieu n'en a pas fait plus pour l'homme ; voilà pourquoi l'amour est plus beau que la poésie.
Ne crains pas que tes lettres me fassent du mal ! j'aime mieux le mal qu'elles me font, que le bien que me font les autres.
Mais ce que j'ai dans l'âme ne mourra pas sans en être sorti.