Citations sur Lettres d'une vie (21)
J'ai une autre passion pour le quart d'heure, c'est d'apprendre le latin et je ne me le fourre dans la tête qu'en apprenant des vers par cœur. Je divertis Maurice en lui cornant aux oreilles, tu patulae recumbans etc. Le Pôtu, qui est mon magister, est furieux de la rapidité avec laquelle je le pousse. Entre nous soit dit, c'est une langue qui n'a pas le sens commun, une langue illogique, une langue de rhéteurs et qui n'apprend rien aux malheureux enfants condamnés à ne pas même l'apprendre pendant 8 ou 10 ans. Je prétends bien en trois mois, en savoir autant que ceux qui ont fait leurs classes d'une manière ordinaire, vu que c'est une langue que personne ne sait jamais, puisqu'elle embrasse tant de siècles et se modifie pendant toute l'histoire de l'humanité. Le jeu n'en vaudrait pas la chandelle s'il ne s'agissait pour moi que de connaître les coquetteries ou la pompe des poètes. Mais j'ai été gênée toute ma vie pour lire des ouvrages du Moyen Âge ou de la Renaissance qui ne sont pas traduits ou qui le sont fort mal, et je veux me débarrasser de cet obstacle. En résumé, c'est toujours amusant d'apprendre quelque chose. Cela rafraîchit le vieux cerveau.
(Lettre à Pierre-Jules Hetzel, fin décembre 1848)
Tu l’as dit cent fois, et tu as eu beau t’en dédire, rien n’a effacé cette sentence-là : Il n’y a au monde que l’amour qui soit quelque chose.
(lettre à Alfred de Musset, 12 mai 1833)
Qu'est-ce-que ça fait de vieillir si on sent l'âme jeune pour une éternité de force, d'amour et de bonheur ?
J'ai la passion des grandes montagnes, et je subis, depuis que je suis au monde, les plaines calcaires, et la petite végétation de chez nous avec une amitié reelle, mais très mélancolique. Mon foie gémit dans et air mou que nous respirons, et j'y deviens le bœuf apathique qui travaille sans savoir pour qui et pourquoi.
J'adore les roses, ce sont les filles de Dieu et de l'homme, des beautés champêtres délicieuses dont nous avons su faire des princesses incomparables ; et, pour nous en remercier, elles sont ardentes à la floraison. En plein décembre, dans mon jardin qui est loin d'être sous un beau ciel, tous les matins j'en trouve de superbes qui s'ouvrent sans souci de la gelée blanche et qui se font d'autant plus aimer qu'elles ont survécu à presque toutes les fleurs
Mais je ne réussirais pas à te changer, je ne réussirais même pas à te faire comprendre comment j’envisage et saisis le bonheur, c’est-à-dire l’acceptation de la vie, quelle qu’elle soit ! Il y a une personne qui pourrait te modifier et te sauver, c’est le père Hugo, car il a un côté par lequel il est grand philosophe, tout en étant le grand artiste qu’il te faut et que je ne suis pas. Il faut le voir souvent. Je crois qu’il te calmera : moi, je n’ai plus assez d’orage en moi pour que tu me comprennes. Lui je crois qu’il a gardé son foudre et qu’il a tout de même acquis la douceur et la mansuétude de la vieillesse.
lettre à Flaubert
Ceux qui n'ont jamais connu, jamais aimé le danger, ne connaissent pas le prix de l'existence.
Quand je vous lisais, j'étais entraînée, ravie, aucun sacrifice ne me paraissait trop grand, pour mériter le bonheur d'être aimée de vous.
Mais vois-tu, les gens qui ont une opinion politique sont les moins à plaindre. Ils s'indignent contre le parti dont ils ne sont pas. Moi, je m'indigne contre tous les hommes. Ils ont un espoir, un devoir, un voeu dans le conflit, moi je n'ai que la douleur. Chaque balle qui siffle à leurs oreilles leur enlève peut-être un ennemi et pour ces gens-là un ennemi n'est pas un homme. Pour toi et pour moi, un soldat, un étudiant, un ouvrier, un garde national, un gendarme même représentent quelque chose qui vit, qui doit vivre, qui a des sympathies ou des besoins en commun avec nous. Pour les hommes de parti il n'y a que des assassins et des victimes. Ils ne comprennent pas qu'eux tous sont victimes et assasins tour à tour.
Tout bien considéré, je commence à croire que l'argent ne donne pas la liberté, que la misère la donne encore moins. Où est-elle ? Je ne sais, peut-être dans la lune.