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Critique de OverTheMoonWithBooks


Ndéné Gueye est enseignant en littérature à l'université de Dakar. Quand il n'est plus devant ses étudiants, il vit comme n'importe quel jeune Sénégalais, entre ses amours, sa famille, sa routine et son questionnement existentiel. Puis une vidéo que lui montre Rama (la magnifique femme qu'il fréquente) dans laquelle on voit des individus déterrer le corps d'un homme. Un homme, qui, selon certains critères moraux n'en étant pas un, car cet homme était homosexuel. Un homme qui en Wolof est désigné par des termes peu flatteurs ou lourds de sous-entendus peu flatteurs dont celui d' "homme-femme", ou en d'autres termes, un homme qui n'a d'homme que les traits biologiques mais l'attitude d'une femme dans ce que le patriarcat lui prête de plus dégradant.
Et à ses dépends, notre protagoniste va comprendre à quel point il est compliqué de s'opposer aux idées préconçues.


Par son cheminement, tant en actes qu'en pensées, la lectrice occidentale que je suis a pu se rendre compte à quel point l'homosexualité au Sénégal n'est pas un "simple" enjeu religieux, culturel ou moral mais historique. En effet la présence de l'homosexuel, d'abord rejeté en bloc et dénigré comme étant une maladie apportée par l'homme blanc (de la même façon que les colons disait que c'était une maladie de ces dégénérés d'indigènes!) mais qu'elle est problématique car elle vient entacher l'image que la société traditionnelle s'est construite au XXème siècle - là encore , plus ou moins en réaction aux différences avec l'Autre qu'on veut exacerber.

C'est un roman fort par son contenu et son analyse qui bouscule a plus d'un titre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai voulu m'y confronter plutôt que de lire le Goncourt. Je ne peux pas dire que j'ai tout aimé, loin de là. A mon sens, les 70 premières pages et les 20 dernières n'ont rien d'indispensable. Même si, je reconnais que le début permet au romancier de démystifier l'image du bon peuple et de montrer les effets pervers de l'effet de foule. Mohamed Mbougar Sarr ne se contente pas de montrer à quel point la foule attise nos instincts primaires les plus malsains et notre fascination pour le sordide, il montre aussi que malgré nous, le développement d'Internet et des réseaux sociaux nous a aussi pris dans ce piège plus ou moins malgré nous.

Contrairement à ce que laissent penser certaines polémiques (de quelle ampleur réelle, je ne saurai le dire) qui ont eu lieu au Sénégal autour de ce livre jugé immoral qui selon certaines instances politiques faisait "l'apologie de l'homosexualité", la vidéo est un prétexte pour interroger une société tiraillée entre deux feux. Entre une jeunesse qui suit aveuglément les préceptes traditionnels, respecte scrupuleusement la hiérarchie familiale et ses valeurs morales et religieuses, ceux qui voudraient avancer et vivre leur vie comme ils l'entendent sans les contraintes traditionnelles (ou "comme les blancs") et ceux encore qui ne savent pas trop se situer. C'est un roman important et nécessaire en ce sens, malgré les défauts littéraires que je lui trouve (ce qui ne m'a pas empêché de mettre plein de post-it dedans!).

Le grand mérite de ce roman c'est qu'en plus de réfléchir il montre bien que les avis tranchés sont minoritaires (mais parlent bien plus fort que les autres) et que les choses ne sont pas si tranchées et simples qu'on pourrait le faire croire.
L'un des passages les plus fins dans ce livre est celui où Ndéné est face à ses propres contradictions : alors même qu'il a défendu Verlaine en disant qu'il n'était pas défini par sa sexualité et que rejeter son oeuvre sur ce prétexte était stupide, on voit bien que son attitude, son expérience dans le réel lorsqu'il est face à un homme qui est ou pourrait être homosexuel est de le réduire à cela. Et qui pourrait se vanter de ne pas faire de même à une époque où l'étiquette est non seulement une mode mais un must-have ?

Un livre fort et intéressant à lire surtout à une époque où on se demande quelle étiquette poser à deux ados homos qui ont tiercé dans une église (soit disant) en tant que militants LGBT ?
La preuve que ces débats n'arrivent pas que chez les autres...
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