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La fascination des actes criminels diffusés par les médias, la cruauté, l'intolérance couplée de primitivisme et face à ce spectacle, Ndéné, un prof de littérature française, un sénégalais. Une vidéo sur un portable qui va déclencher une quête existentielle, chez cet homme de retour dans son pays et déjà à moitié chemin de perdre toutes ses illusions.

Dans un Sénégal musulman où les interdits deviennent encore plus attrayants, les « goor-jigéens » (homosexuels) sont au coeur de ce livre. L'auteur avec une exhumation violente et un spectacle de Sabar( manifestation folklorique sénégalaise) torride, nous jette tout de go, dans les braises d'une communauté, qui fascine autant qu'il révulse (?)....... Ndéné, pris entre un père musulman orthodoxe, imam de surcroît, qui condamne les homosexuels, et un mail du Ministère de l'Education interdisant l'enseignement de tout écrivain dont “ l'homosexualité est avérée, même soupçonnée”, en est fasciné. Soumis à de terribles préjugés dont Verlaine qu'il enseigne et qui “fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l'homosexualité....”au Sénégal, quelle voie va-t-il prendre, celle de sa conscience ou celle de la communauté ?

Jusqu'où peut-on être lucide, conscient de reconnaître ses véritables pensées, sentiments, désirs, pulsions, et avoir le courage de les exprimer et les vivre ouvertement en société ? La question est générale, bien que traitée ici dans un contexte et sujet particulier. L'approche de l'auteur n'en est en aucun cas critique, au contraire indulgent , pleine de compassion , «....la peur toute humaine de n'être plus admis comme homme au sein des hommes. Je peux les comprendre, et comment ! ». Une approche qui me plait, dans ce monde où l'on critique à souhait, gratuitement, sans empathie et sans une connaissance approfondie des faits.
Un livre qui me révolte encore une fois avec l'approche ignare, inculte des musulmans orthodoxes à leur religion et à leur livre saint, et en général des hommes à toute intolérance.

Un roman sensuel servie d'une écriture puissante et visuelle. Une première approche à un excellent écrivain !

“Un vrai secret n'est jamais clair, même à sa propre conscience.”
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Quel auteur déjà a écrit que la littérature servait soit à enrichir son lecteur soit à le bouleverser… ? Je ne sais plus, mais cette citation, sans doute mal formulée, m'est revenue en mémoire après avoir lu d'une traite, comme en apnée, « de purs hommes » de Mohamed Mbougar Sarr. Car j'ai appris. Et j'ai été bouleversée.

J'ai appris et j'ai été bouleversée par le sort réservé aux homosexuels au Sénégal, voire tout simplement à celles et ceux faisant l'objet de rumeurs d'homosexualité. Derrière le terme d'homosexuel, « goor-jigéens » en wolof, on y met d'ailleurs également les hommes et les femmes ayant des sexualités autres que l'hétérosexualité, pas de nuance, pas de détails, du pareil au même. Des personnes impures, coupables, à éradiquer.

« le mot goor-jigéen est problématique. Ça veut dire homme-femme comme tu sais. Mais c'est quoi homme-femme ? Rien et tout à la fois. On met dans le mot goor-jigéen toute identité sexuelle qui n'est pas hétérosexuelle. Alors on appelle goor-jigéen, comme on nomme ici les homosexuels, les transsexuels, les bisexuels, les hermaphrodites et même les hommes simplement un peu efféminés ou les personnes à l'allure androgyne ».

Ndéné Gueye est professeur de français à l'université de Dakar. Sa petite amie lui montre un jour une vidéo devenue virale dans la capitale : celle montrant une foule hystérique en train de déterrer le cadavre d'un homme considéré comme « goor-jigéen » et donc indigne d'être enterré dans un cimetière musulman. Les seules personnes au Sénégal à qui on refuse une tombe.
S'il comprend dans un premier temps les motivations des protagonistes, étant imprégné lui-même de cette culture sénégalaise qui ne voit pas d'un bon oeil l'homosexualité, la vidéo particulièrement violente et empreinte d'un souffle d'intolérance primaire, commence à le fasciner au fur et à mesure qu'il prend pleinement conscience du sort réservé aux homosexuels dans son propre pays. Qui était l'homme de cette vidéo ? Où habitait-il ? Qui sont ses parents ? Pourquoi est-il considéré comme impur ? Qu'est devenu son cadavre ?
Au même moment une note du ministère tombe interdisant aux professeurs de lettres d'enseigner la vie et l'oeuvre d'auteurs suspectés d'être homosexuels. Notamment Verlaine, note que Ndéné n'a pas vu, la gestion de sa boite mail n'étant pas son point fort. Il a donc fait un cours sur Verlaine sans se rendre compte ce que cela va apporter en termes de méfiance et de mécontentement parmi ses étudiants, cet auteur, entre autres, faisant partie de la propagande européenne pour introduire l'homosexualité sur le continent africain. Sommé de s'expliquer sur le sujet par ses étudiants, ils décident de boycotter ses cours. Enfin le doyen le met à pied. le professeur n'a pas voulu s'excuser.

Sa curiosité envers l'homosexuel de la vidéo ainsi que sa résistance au sein de l'université, complètement tiraillé entre sa conscience et les valeurs traditionnelles de sa communauté, vont l'entrainer vers la marge, l'étau terrible de la rumeur se resserrant autour de lui.

Cet auteur m'avait éblouie et fascinée avec « La plus secrète mémoire des hommes » que j'avais trouvé érudit, élégant, brillant. Ce livre-ci, écrit bien avant, m'a bouleversée. La plume de l'auteur, plus simple et moins travaillée, mais également poétique et sensible, plus sensuelle, érotique et révoltée aussi, donne au discours force et puissance. Au-delà des faits révoltants rapportés, on s'émeut avec l'auteur qui sait nous faire ressentir : odeurs, couleurs, sensation des peaux et des regards, il convoque nos sens. Là se trouve la puissance de ce récit : nous apprendre des choses promptes à nous révolter tout en nous les faisant vivre de façon sensorielle. Quand la lecture est à la fois source d'apprentissage et d'émotion. Voilà ce que maitrise avec coeur et âme Mohamed MbougarSarr. En allant jusqu'à nous plonger dans les sexes des femmes, la source des origines. Virtuosité.

« Pour les femmes les plus emportées par la folie du sabar, la démence de l'instrument satanique dont le vrombissement pouvait, disait-on, empêcher d'entendre la voix même de Dieu s'il eût été devant vous, pour ces femmes, donc, les beco mêmes devenaient trop pudiques ; elles les relevaient d'un geste nerveux. Et alors brièvement, on entrevoyait les sexes, les grands sexes noirs au coeur rouge, secrets et majestueux dans leur inaccessibilité, charnus comme des fruits tropicaux, coiffés de couronnes de toison luisant d'un éclat sombre…Ils béaient, ces sexes bombés, ils béaient comme des bouches étonnés ; et les femmes, dans la seconde où elles les exhibaient, en exagéraient l'ouverture et la profondeur, comme pour donner à voir leur âme. Cela durait le temps d'un battement de coeur et les rideaux des cuisses, de beco et de pagnes se refermaient, renvoyant les fleurs du monde au secret ».

On sent toute sa révolte par moment, on devine des phrases écrites avec toute sa colère et tout son amertume, notamment lorsque l'auteur dénonce l'hypocrisie derrière la façade du soi-disant bon musulman : « C'est bien nous, irréprochables saints au grand jour, bouffeurs de seins, gamahucheurs émérites, renifleurs de culs, fétichistes des gros orteils, buveurs de jus de sexe à la nuit tombée. Comédiens. Prestidigitateurs. Bonimenteurs. Illusionnistes ».

Un livre sensoriel écrit par Mohamed Mbougar Sarr, avec toute son âme et tout son coeur, au service d'une histoire dénonçant la façon dont sont traités, avec violence, cruauté primaire, les homosexuels au Sénégal. Une histoire sur le combat de tout homme devant l'horreur entre conscience personnelle et valeurs de sa communauté, valeurs collectives faisant humanité. Où est la vérité dans ce combat ? Une histoire sur la relativité (ou pas) de l'homosexualité aux espaces, aux traditions, aux cultures… Un petit livre fort, dérangeant et bouleversant.
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Mohamed Mbougar Sarr utilise le carburant des sujets inflammables de la société sénégalaise : islamisme, relations Occident-Afrique, ou le sort des personnes homosexuelles dans ses fictions.

“Ils savent que, tant qu'ils continueront à mentir, ils continueront à mourir.” L'enfer sur terre. Pas pour tous non, mais pour les “góor-jigéen” au Sénégal, assurément. Comment traduire ce terme wolof dans notre langue ? Peut-être pourrions-nous nous satisfaire de gay, bien que le terme semble renvoyer à une acception plus folklorique et ancienne… à l'image des “ladies boys” de Thailande, les “hommes-femmes” sénégalais avaient leur place dans la société traditionnelle avant que peu à peu, sous l'influence coloniale, l'homophobie ne lave les cerveaux.

“J'ai toujours pensé que l'humanité d'un homme ne fait plus de doute dès lors qu'il entre dans le cercle de la violence, comme bourreau ou comme victime.” Désormais, on ne peut pas plus tolérer la mise en bière d'un homosexuel dans un cimetière que l'enseignement de Verlaine à l'Université… C'est dans ce parfum d'Inquisition sauvage que débute la quête, à contre-courant, du personnage de Mbougar Sarr.

“Refuser d'accepter la mort de ceux qu'on a perdus, c'est le plus beau, le plus durable monument qu'on puisse leur élever.”

Parfois, surtout au début, le style est un peu chargé, par exemple certaines phrases sont inutilement plombées par l'utilisation à rallonge du pronom “qui” ou de répétitions maladroites. Mais le jeune auteur, récemment Prix Goncourt, tisse finalement à partir d'un fait divers une fiction efficace où poésie, sensualité, suspense et drame se mêlent dans une atmosphère immersive.

Qu'en pensez-vous ?
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« Bien sûr c'était la question fondamentale, celle que je n'osais pas encore affronter. La seule question valable. Que s'était-il passé en moi pour que je m'intéresse au sort d'un homosexuel inconnu sorti de sa tombe ? »

Que s'était-il passé pour que Ndéné Gueye, jeune professeur désabusé ayant perdu toute illusion quant à la possibilité de susciter chez ses élèves autre chose qu'un ennui maussade à l'égard de la littérature française du XIX° siècle, se passionne pour un fait divers sordide diffusé en boucle sur les réseaux sociaux — l'exhumation de sa tombe fraîchement creusée du cadavre d'un présumé góor-jigéen ?
Que s'est-il passé pour que son indifférence à l'égard des homosexuels en général et de ce fait divers en particulier cède la place à une fascination morbide puis au désir de comprendre, enfin à une douloureuse mais salutaire introspection ?

C'est à cette question que tente de répondre le livre, un livre longuement mûri par l'auteur sénégalais qui confesse avoir été profondément marqué, alors qu'il était encore au lycée, par la vidéo qui ouvre le roman, une vidéo d'une violence symbolique inouïe dans laquelle nous entrons à tâtons, ne distinguant et ne comprenant rien tout d'abord, puis, à mesure que l'image et que l'action se précisent, comprenant enfin, partagés entre l'incrédulité, le dégoût, la peur et la pitié.

« Ils tiraient, un dernier effort, comme l'ultime cognée du bûcheron avant que le baobab s'effondre, et le cadavre jaillit de la fosse dans une rumeur profonde et inhumaine, où les exclamations apeurées se mêlaient aux versets coraniques et aux injures. »

Cette entrée en matière cinématographique particulièrement saisissante instaure d'emblée une tension dramatique qui propulse le roman sur une hauteur vertigineuse dont il est très difficile de redescendre. En tout cas, pour moi, ce fut difficile. J'ai d'ailleurs longuement hésité à lire ce livre. Et sans les récents retours de Chrys (@HordeDuContrevent), Francinette (@afriqueah), Fabinou et Isa (@Ileauxtresors), il est probable que je ne m'y serais pas risquée.
Quand j'étais petite fille, j'ai vu un film au cinéma qui m'a profondément marquée, « Victor Victoria », mettant en scène une femme crevant littéralement de faim qui décide de gagner sa vie en se faisant passer pour un homme qui se produit sur scène travesti en femme. Cette femme se faisant passer pour un homme se faisant passer pour une femme fut pour moi une révélation. L'ennui, c'est que je n'ai toujours pas compris, quarante ans plus tard, ce que recouvrait au juste cette révélation. Je suppose que cela a à voir avec mon sentiment profond que la frontière entre hommes et femmes est poreuse et mouvante, qu'il est bien plus fécond de creuser la part de féminin en soi quand on est un homme et réciproquement, que de vouloir la minorer ou la nier comme s'attachent à le faire avec une opiniâtreté imbécile l'écrasante majorité des religieux, ce, pour les siècles des siècles.
J'ai une fâcheuse tendance, sur les sujets qui touchent à la liberté sexuelle, à l'homosexualité, au droit des femmes à disposer de leur corps, à considérer que tous ceux qui ne pensent pas comme moi sont de sombres crétins dépourvus de la plus élémentaire lucidité, et je me suis vraiment beaucoup reconnue dans l'impétueuse Rama, dans son intransigeance, voire dans sa brutalité à l'égard de son amant, Ndéné Gueye :

« On se fiche de ce que tu racontes sur l'aveuglement du monde. Si t'es capable de voir que tout le monde est aveuglé, c'est que tu penses ne pas l'être. Tu vois, t'es sûr ? »

Bref, sur ces sujets, j'ai tendance à ne pas faire dans la nuance. Or, à mon avis, il n'y a pas de littérature possible sans une maîtrise minimale de l'art de la nuance. Mohammed Mbougar Sarr, qui explique avoir destiné son livre à un public en particulier, le peuple sénégalais, qui, sous la double emprise de l'obscurantisme religieux et d'un puissant ressentiment à l'égard des anciens colonisateurs accusés d'avoir introduit dans le pays leurs moeurs dévoyés, entretient à l'égard de l'homosexualité une relation parfaitement hystérique, possède magistralement cet art de la nuance.
Il est sans aucun doute indigné. Mais il a l'intelligence de ne pas s'en tenir là, ce n'est pas un pamphlet qu'il écrit.
En donnant la parole à ceux, et ils sont nombreux, qui considèrent l'homosexualité comme le Mal absolu, ainsi qu'à ceux, infiniment plus rares, qui défendent la cause gay dans son pays, enfin à ceux qui, par leur style de vie, leur allure, ou leur sexualité, risquent leur peau à tous moments, il instaure les termes d'un débat contradictoire. Aux paroles du père du narrateur, homme pieux et musulman rigoureux, menaçant son fils de le déterrer de ses propres mains sans pelle ni pioche s'il apprenait qu'il était un góor-jigéen, répondent la douleur et la dignité d'une mère qui dût creuser seule un trou dans la cour de sa masure pour y entreposer la dépouille de son fils :

« Il n'y avait plus là qu'une tristesse, immense et sans remède, ainsi que la trace de quelque chose d'infini et de têtu, et que j'hésitais, parce que ce mot était trop facile, trop simple, trop usité, trop limité, presque insultant pour cette femme, à nommer courage. »

Mbougar Sarr ne commet pas la grossière erreur de se tenir en surplomb au-dessus de la masse indistincte des indifférents, des ignorants et des lâches, il se tient à hauteur d'homme, nous décrivant avec humilité, avec une grande honnêteté intellectuelle et une auto-dérision jubilatoire, chacune des étapes de sa révolution interne sur ce sujet hautement inflammable qu'est l'homosexualité au Sénégal.
Depuis l'indifférence et la paresse initiales résumées par une phrase piteuse — « après tout, ce n'était qu'un góor-jigéen »  — qui lui vaut une gifle monumentale de la part de Rama, jusqu'au puissant sentiment de honte et de culpabilité qui le pousse à rechercher l'identité du góor-jigéen exhumé du cimetière, Nguéné Gueye s'approchera au plus près de la vérité au risque de s'y brûler.

« J'étais allé trop loin dans l'ombre et la solitude. Il était plus facile pour moi de m'y enfoncer que de rebrousser chemin. Plus vital aussi, car j'avais fini par croire, par me convaincre qu'au bout de cette solitude et de cette culpabilité m'attendait un salut, peut-être une vérité que rien ni personne d'autre n'aurait pu, sinon m'offrir, au moins me montrer. »
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Alerte ! Mon portable sonne, urgence : vidéo à regarder. Je le sens mal dès le début, genre haut-le-coeur à me faire gerber les trois bouteilles de Flag que j'ai prises hier, soirée chaude et humide dans la pénombre de la poussière, zone obscure de ma vie et ses bas-fonds. J'essaie de détourner les yeux mais mon regard revient inlassablement sur mon petit écran. J'ai besoin de voir, de comprendre, de savoir... Je rouvres les yeux sur cette société-là, une société qui interdit d'enseigner la poésie de Verlaine parce qu'il est coupable d'homosexualité, le Sénégal d'aujourd'hui.

La vidéo montre une foule en liesse déterrant un cadavre. Il est traîné, piétiné, craché, en dehors du cimetière. Je comprends, cette âme n'est pas assez pure pour rester dans cette enceinte. Je comprends, l'homme qui est bafoué ainsi, avant d'être cadavre putrescent, était un goor-jigéen, autrement dit un "homme-femme" en wolof, un pédé en langage populaire. Et dans ce pays, dans cette religion, l'homosexuel, même mort, n'a pas le droit au repos non plus. Paix à son âme, les religions nous apprennent à dire, mais pas toutes les âmes.

Mohamed Mbougar Sarr signe ici un beau roman, beau mais cruel, presque terrifiant. Il donne envie de crier, de pleurer. d'être en nage et en rage, apeuré par cette violence intrinsèque qui sommeille au fond d'une population, violence gratuite, incompréhensible. Il fait réfléchir, il fait se poser des questions, il ne laisse pas dans l'indifférence. Oui, j'ai réfléchis moi aussi sur l'homosexualité, sur les questions à se poser, sur ces corps qui se mélangent, ces odeurs qui entêtent, ce parfum enivrant de déviance, méfiance.

Pendant que je réfléchissais à ma chronique, sur ce livre qui me tient à coeur, je lis un petit aparté dans le Monde, 22 décembre : Au Sénégal, des députés veulent durcir les sanctions contre l'homosexualité. Lutter contre les perversions occidentales. En gros, le projet de loi propose que toute personne qui aura été reconnue coupable de « lesbianisme, homosexualité, bisexualité, transsexualité, intersexualité, zoophilie, nécrophilie et autres pratiques assimilées » soit punie d'une peine de cinq à dix ans de prison ferme et d'une amende de 1 à 5 millions de francs CFA...

Que dire de plus... je suis resté sans voix. Facile, me diras-tu, je ne parle déjà pas. Bon, je lis aussi que le 5 janvier, le parlement sénégalais a rejeté ce projet de loi. Une bonne nouvelle... enfin, quoique, je lis aussi que le Code pénal punit déjà « sévèrement » l'homosexualité ainsi que « tous les actes contre-nature et les attentats à la pudeur », des peines de prison. Peiné, je suis, je reste.

Bref, après cet écart politico-sociologique, je reviens au roman. Je ne vous l'ai pas encore dit mais la fin est sublime, quel dernier paragraphe, j'en pleure encore, je m'en souviens encore. Aucun vent ne pourra effacer cette poussière en moi. Ni aucune flag...
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Au Sénégal, la foule refuse aussi bien la mort que la vie aux goor-jigéens, mot wolof désignant les homosexuels. La vidéo virale par laquelle tout commence montre une meute enragée exhumer un cadavre et le traîner hors du cimetière. Prof de littérature à la fac, Ndéné a conscience de l'hypocrisie ambiante mais il n'a pas vraiment le coeur à la démasquer. Pourtant il y a la colère de Rama. Et rien n'y fait, Ndéné est étrangement fasciné par cette vidéo, il n'arrive pas à s'en défaire…

L'ironie de Mohamed Mbougar Sarr éclabousse chaque page, à commencer même, en couverture, par le titre qui raille ceux qui se drapent dans leurs idées de la pureté. de sa plume féroce, à la fois puissante et désarmante, l'auteur dit les violences aiguillonnées par des organisations religieuses. le fleuve humain dans lequel « on est quelqu'un et n'importe qui » et contre lequel on ne va qu'à ses risques et périls. le peuple pressé de combler « l'effroyable silence qui aurait obligé chacun d'eux à se regarder tel qu'il était vraiment ». La lâcheté des « docteurs ès intrigues de basse-cour » à l'université, accaparés par la préservation de leurs privilèges…

Mais ce qui rend ce roman véritablement génial, c'est la finesse et la justesse avec laquelle il raconte comment tout cela travaille le protagoniste de l'intérieur. Son statut – études en France, admiration pour Verlaine mais père très pieux, tentation de se cacher derrière sa « culture » – détonne et donne lieu à des tensions, des doutes qui finissent par lui faire voir son pays comme sous un jour nouveau. Ndéné navigue entre prière du vendredi et scènes militantes, salles de l'université et vie nocturne. Il écoute – ceux qui considère l'homosexualité comme une pratique honteuse apportée par l'Occident, ceux qui rappellent au contraire le rôle important joué jadis par les homosexuels au Sénégal. Et bascule sous nos yeux d'une indifférence apparente à un engagement qu'il peine à assumer mais dans lequel il pressent que réside une meilleure part de lui-même. Ses failles m'ont chavirée.

Superbe !
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Un fait divers réel, l'exhumation d'un cadavre violemment extirpé d'un cimetière musulman de Dakar. Une video qui s'insinue dans les foyers, comme un virus.
Et l'interdiction d'enseigner Verlaine à l'université dakaroise.
Les deux ont été homosexuels.

L'enseignant qui reçoit les deux nouvelles, songe d'abord que la vie privée d'un écrivain, sauf s‘il fait de la propagande de ses habitudes sexuelles, ne regarde que lui, et que c'est son oeuvre que l'on doit étudier, pas sa manière de se faire baiser.
Car quand une communauté veut pénétrer dans la vie privée, c'est exactement de l'inquisition, avec ce que cela comporte de jalousies, de honte, de bêtise et de haine.
Et de rumeurs.
La rumeur du Barbier de Séville , que je vais citer à part, ( d'abord un bruit léger,le mal est fait , il germe… un chorus universel de haine et de proscription)illustre parfaitement ce que vit la famille, les familles de ceux qui ont le malheur, dans ce pays où pourtant l'homosexualité , et même la pédophilie, ont toujours existé, d'être ce qu'ils sont. le Sénégal depuis est devenu intégriste, avec l'étendard nationaliste/patriotique : ces pratiques déviantes viennent de l'Occident.
Raison de plus pour les pourchasser, Allah Akbar. Pour casser leurs dents qui ont sucé. Pour les tuer.
Alors les lois sénégalaises les interdisant se succèdent les unes aux autres.

Chemin intérieur pour essayer de comprendre l'intolérance, pour surtout faire la part du diable, la part de l'ange, en chaque être humain, ce qui révèle mieux que tout son humanité, par exemple, pour le locuteur, nous faire la confidence de sa douleur à apprendre la mort de sa mère suivi de son désir immédiat de faire l'amour ( qui m'a évoqué Alain Peyrefitte la mort de ma mère )
« de purs hommes » est un ensemble lyrique, avec de multiples clins d'oeil à la littérature africaine ( la rumeur, dans les « sept solitudes de Lorsa Lopez de Sony Labou Tansi, un homme comme les autres, René Maran, le devoir de violence, Yambo Ouologuem ,)
Enfin, clin d'oeil aussi à ce qui va, malheureusement, lui advenir, sorte de prédiction / conjuration : MMS invente un jeune écrivain ni homophobe, mais pas plus homophile, essayant d'analyser dans un roman ce qui se passe dans le corps et la tête des « góor- jigéen » , surnom des homosexuels en wolof. Accusations, rumeurs, peut-on écrire cela sans en être, et suicide de l'auteur romancé et de son protagoniste.
Heureusement pour nous, Mohamed Mbougar Sarr a échappé à la vindicte de dame bêtise. Cependant son livre a soulevé les mêmes déchainements, il n'est pas édité au Sénégal, et n'est plus rentré dans son pays depuis.
Second degré presque prophétique.
Le lyrisme de « de purs hommes » est accompagné d'une méditation sur ce qu'est assumer d'être soi-même, en baissant le masque social, sur le deuil, en particulier celui de la mère de l'exhumé :
« Il n'y avait plus là qu'une tristesse, immense et sans remède, ainsi que la trace de quelque chose d'infini et de têtu, et que j'hésitais, parce que ce mot était trop facile, trop simple, trop usité, trop limité presque insultant pour cette femme, à nommer courage. »
Et une splendide introduction à son « la plus secrète mémoire des hommes « , dont on retrouve ci et là les prémisses. Réussite absolue, l'écriture de Mohamed Mbougar Sarr est inoubliable par son phrasé, ses références discrètes, et son message.

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Ndéné Gueye est un jeune professeur de littérature française à l'université de Dakar. Formé en France, il est rentré au pays plein d'enthousiasme et d'idées pour dépoussiérer l'enseignement de la littérature. Mais aujourd'hui, au bout de quelques années à peine, découragé par l'inertie de ses collègues et le désintérêt de ses étudiants, il est à deux doigts d'être totalement blasé.

Un jour, dans cette morosité heureusement embrasée par les rendez-vous avec Rama, sa vibrante amante, il visionne une vidéo, déjà virale à travers le pays, qui montre une foule d'hommes exaltés occupés à déterrer un cadavre et à le traîner ensuite pour le laisser pourrir hors du cimetière. le cadavre est celui d'un jeune homme, dont on dit qu'il est « goór-jigéen », c'est-à-dire un « homme-femme » en wolof, autrement dit un homosexuel, et plus largement toute personne dont l'identité sexuelle n'est pas dans la « norme » hétérosexuelle. Et à ce titre, ce jeune homme est indigne de reposer dans un cimetière musulman.

Imprégné de préjugés, de ses culture et traditions, fils d'un imam orthodoxe, Ndéné ne voit tout d'abord rien d'incompréhensible à cette sorte de lynchage post-mortem. Puis, peu à peu, sans que lui-même comprenne bien pourquoi, cette vidéo lui revient en tête, l'interroge, l'obsède, le révolte, et le pousse à se renseigner sur ce jeune homme, son histoire, sa famille, en même temps qu'il prend réellement conscience de la situation critique des homosexuels au Sénégal.

Au même moment, il prend connaissance, avec retard, d'une note du ministère de l'Education interdisant d'aborder les oeuvres d'auteurs homosexuels, alors qu'il venait tout juste de donner un cours sur Verlaine. Comme il refuse de s'en excuser, il est suspendu par le doyen de la Faculté.

Il n'en faut pas davantage pour faire naître les soupçons et les rumeurs sur l'orientation sexuelle réelle de Ndéné...

Roman incandescent, cruel et révoltant, « de purs hommes » parle du rejet des góor-jigéens et de l'opprobre jeté sur leur famille, dans un Sénégal gorgé de croyances intégristes, selon lesquelles l'homosexualité n'existe pas dans ce pays mais y a été apportée par la propagande européenne. Il parle d'ignorance crasse, d'inculture, d'intolérance, et de l'hypocrisie d'une société religieuse et moraliste côté face, avide de sexe côté pile.

Un roman très sensuel, puissant, à la fois plein de colère et de compassion, sur la difficulté, dans un tel contexte, de choisir entre sa communauté et sa conscience, et plus largement, sur les questions essentielles, existentielles, de l'identité, de la liberté d'être soi-même et du courage de s'assumer tel que l'on est.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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C'est à travers une vidéo présentant une foule hystérique en train de déterrer un cadavre que le narrateur prend conscience du sort réservé aux homosexuels.
D'abord abasourdi et révolté, Ndéné Gueye, professeur de français à l'université de Dakar, veut comprendre pourquoi cet homme dont le seul tort était son orientation sexuelle était considéré comme « impur » et donc indigne d'être enterré dans un cimetière musulman.
Par ailleurs, il a reçu un mail du Ministère invitant les professeurs à supprimer l'étude des écrivains homosexuels. Or, il vient de faire un cours sur Verlaine. Il est d'abord sommé de s'expliquer sur le sujet par ses étudiants qui décident de boycotter ses cours, puis par le doyen qui le met à pied.

Mohamed Mbougar Sarr aborde dans ce court roman des thèmes sociétaux en nous livrant une réflexion sur l'islamisme intégriste, l'homosexualité et l'homophobie au Sénégal.
L'écriture est surprenante de beauté, de précision, de poésie parfois.
Mohamed Mbougar Sarr m'a éblouie avec « La plus secrète mémoire des hommes », roman que j'ai lu 2 fois, captivée par l'histoire, par l'élégance de sa plume et la musicalité des phrases.
« de purs hommes » a été écrit bien avant, mais j'y ai retrouvé tout ce qui m'avait tellement émue et bouleversée dans le Goncourt.
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Nous qui avons été façonnés par l'Ecole de la République Française, voulons toujours croire à l'universalité des valeurs de liberté, égalité, fraternité. Et à la tolérance, la bienveillance à qui ne pense pas comme nous, ou qui est différent de nous.
Mais nous savons bien que nous nous trompons.
Même au sein de notre pays, ces valeurs ne sont pas partagées. Il suffit de voir l'attitude de certains hommes à l'égard des femmes, des homosexuels, et plus généralement le racisme ordinaire, le rejet des immigrés. Cependant, il faut le reconnaître, même si ça n'est pas parfait, notre société, en matière de l'égalité homme-femme, du droit des homosexuels, a beaucoup progressé.
Mais, sur notre planète, « tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon » selon le beau titre d'un livre de Jean-Paul Dubois. Il y a d'autres lieux, bien nombreux, qui vivent une réalité bien différente. Ainsi de tous ces pays dans lesquels, pour des motifs religieux, identitaires, l'homosexualité est considérée comme un crime qui peut conduire à la mort.
Le roman de Mohamed Mbougar Sarr nous le révèle dans sa cruauté, et ça fait mal.

Lors de l'attribution du Prix Goncourt 2021 à l'écrivain, une de mes proches m'a signalé qu'il avait publié auparavant, en 2018, un roman fort dont le thème principal est l'attitude de la société sénégalaise à l'égard des hommes homosexuels, et la condition insoutenable de ces derniers.
Et de nombreuses critiques justes et émouvantes ont été consacrées à ce livre sur Babelio.

Sa lecture m'a bousculé et émerveillé. C'est différent de « La plus secrète mémoire des hommes », plus court, moins érudit, mais quelle puissance et quelle beauté.
M.Mbougar Sarr nous raconte de façon prenante et belle l'histoire d'un jeune professeur de français de l'Universite de Dakar, fils d'un imam, et culturellement plutôt défavorable à l'homosexualité, qui va découvrir la vidéo de l'exhumation violente et haineuse du cadavre d'un homme présumé homosexuel et enterré dans un cimetière musulman.
Cette vidéo le laisse dans un premier indifférent, ce qui a le don de fâcher son amante. Mais c'est un esprit libre et curieux, et, dans un deuxième temps, il va chercher à comprendre, à savoir qui était cet homme arraché à son tombeau.
Et puis, cet universitaire critique à l'égard du système dans lequel il vit, va refuser d'appliquer une consigne de sa direction qui demande de ne plus enseigner les oeuvres d'écrivains connus pour être des homosexuels tels le poète Verlaine, car pour lui il faut distinguer l'homme et l'oeuvre.
Mais cette liberté d'esprit et cette volonté de comprendre vont l'entraîner dans un engrenage implacable où il perdra le soutien de sa famille, de ses collègues et de ses étudiants, et il sera confronté au poison de la rumeur.
Mais, comme toujours, il y a l'intrigue et la façon de la raconter.
La façon de nous faire ressentir la vie profonde, ce n'est pas donné à tout le monde. Et ici, c'est magnifique, que ce soit la fête pleine de sensualité menée par un travesti et où toutes les femmes dansent avec frénésie, la plénitude de la courte retraite du héros au bord de la mer, la rencontre peine de compassion avec la mère du jeune défunt accusé d'homosexualité, il y a des moments si beaux, si émouvants parfois, je ne peux tous les citer.

Et tant de réflexions d'une grande force sur la violence, la mort, la rumeur. Par exemple celle-ci:
« Ce sont de purs hommes parce que, à n'importe quel moment, la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s'abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu'elle utilise pour s'exprimer: culture, religion, pouvoir, richesse, gloire…Les homosexuels sont solidaires de l'humanité parce que l'humanité peut les tuer ou les exclure.
On l'oublie trop souvent, ou on ne veut pas s'en souvenir: nous sommes liés à la violence, liés par elle les uns les autres, capables à chaque instant de la commettre, à chaque instant de la subir. Et c'est aussi par ce pacte avec la violence métaphysique que chacun porte en lui, par ce pacte, autant que par tout autre, que nous sommes proches, que nous sommes semblables, que nous sommes des hommes » .

Et aussi, ce qui m'a frappé, c'est que le roman nous renvoie comme un miroir, l'attitude de nombre d'entre nous en France à l'égard des musulmans, des immigrés. Ce discours sur l'homosexualité vécue comme une sorte de corruption par une influence occidentale, qui touche à l'intégrité de la société sénégalaise, au risque de la faire s'effondrer, ça ne vous rappelle rien? Ces théoriciens français du grand remplacement, qui considèrent que les musulmans, les immigrés touchent aux racines chrétiennes de notre pays.

Enfin, l'écriture est superbe, dense, au plus près des sentiments et des sensations, comme l'a si bien écrit mon amie babeliote Chrystèle, Hordeducontrevent.
Le lecteur réalise qu'il a affaire à un grand écrivain, la suite le confirmera.
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