On ne peut rien savoir d'un vieillard si on ne va pas à ses yeux, ce sont eux qui détiennent l'histoire de sa vie. Si le regard est aveugle, la photo le sera aussi s'était dit la photographe.
Il y avait un pacte de mort entre mes p'tits vieux. Je ne dis pas suicide, ils n'aimaient pas le mot. Ce qui leur importait, c'était d'être libres, autant dans la vie qu'à la mort, et ils avaient conclu une entente.
Et pourtant, c'est dans la forêt qu'il prenait la mesure de son être, qu'il respirait l'air du monde, qu'il sentait son appartenance à la puissance de l'univers.
La folie n'était peut-être que cela, un trop-plein de tristesse, il fallait simplement lui donner de l'espace.
Et l'amour ? Il faudra encore attendre, c'est trop tôt pour l'amour.
[…] Ils chuchotent plus qu’ils ne parlent. Charlie a sa voix de velours, celle qu’il utilise pour approcher un animal effrayé. Marie-Desneige est plus à son aise. Elle a l’habitude des dortoirs, des confidences qu’on se chuchote d’un lit à l’autre. C’est d’une voix étouffée, à peine audible, qu’elle raconte un peu de sa vie à l’asile avec cette amie qui se prenait pour la reine d’Écosse et qui lui donnait ses bas à laver et ses ourlets à refaire en échange de sa protection.
- Personne n’aurait osé s’en prendre à Ange-Aimée, reine d’Écosse, d’Angleterre, des Carpates et des Nations unies.
- Les Carpates, c’est pas un pays.
- Les Nations unies non plus.
Ils rient.
[…] L’histoire s’installe tranquillement. Rien ne se fait très vite au nord du 49° parallèle.
[…] Quelques égarés de la route, des chasseurs, des pêcheurs venaient parfois se perdre à ma porte. Ils cherchaient des espaces vierges, là où aucun homme n’avait posé son pied d’astronaute. Je les envoyait à l’ouest. Il y avait là suffisamment de vieux chemins forestiers pour les occuper tout un après-midi à tourner en rond.
[…] Je suis photographe, ai-je encore dit, je fais des photos des personnes qui ont survécu aux Grands Feux.
[…] J’arrive avec mon barda. Mon trépied, ma Wista à soufflet et mon voile noir. Je fais de la photo à l’ancienne. Pour la précision du grain qui va chercher la lumière dans le creux de la chair et pour la lenteur du cérémonial.
Mon portfolio contient une centaine de photos, des portraits pour la plupart, mais il y a aussi des clichés pris sur le vif avec ma Nikon et qui n’ont d’autre but que d’apprivoiser le sujet à la première rencontre.
Quatre hommes attendaient la venue des anges dans un étang. De l'eau jusqu'aux aisselles, de longues traînées boueuses sur le visage et de grands yeux hébétés, ils se croyaient les derniers humains de la terre. Avec eux dans la lumière dorée, un orignal qui avait trouvé refuge dans l'étang et, perché sur l'épaule du plus jeune d'entre eux, celui qui a raconté, un oiseau qui pépiait à s'égosiller.
Ils ont vu passer le jeune Boychuck.