De plus, il n'est pas nécessaire de croire aux histoires pour les aimer.
J'aime toutes les histoires.
J'aime l'idée de progression, de début, de milieu et de fin.
J'aime la lente accumulation d'éléments de compréhension, les paysages brumeux de l'imaginaire, les promenades labyrinthiques, les pentes boisées, les étangs réfléchissants, les revirements tragiques et les quiproquos comiques.
Quand on a faim, on est prêt à avaler n'importe quoi. Le simple fait de mastiquer, d'avaler quelque chose, sans nourrir forcément le corps, nourrit les rêves. Et les rêves de nourriture valent bien les autres - vous pouvez en vivre jusqu'à la mort.
Quant aux autres, ils pouvaient bien être remplis de terreur, courir se réfugier dans un coin, pris de sueurs froides, dès le danger passé, c'était comme si de rien n'était, ils se remettaient à trottiner le coeur léger. Et le coeur léger, ils avançaient dans la vie jusqu'à ce qu'ils se fassent aplatir, empoisonner ou briser la nuque par une barre de fer. Et moi qui leur ai survécu à tous, j'ai souffert mille morts. Pareil à un escargot, j'ai traversé la vie en laissant dans mon sillage une traînée luisante de peur. Après tout ce que j'ai vécu, ma mort, quand elle viendra, sera très décevante.
En fin de compte, je crois que je préfèrerais être Cole Porter que Dieu.
Tous les matins, Norman et moi lisions le Boston Globe. Nous le lisions de la première à la dernière page, y compris les petites anonces. J’étais au courant de ce qui se tramait dans le monde. Je suis devenu un citoyen bien informé, et quand un article évoquait le « grand public », je ressentais un petit pincement de fierté narcissique.
En Afrique, on a déjà vu des enfants manger de la terre en période de famine. Quand on a faim, on est prêt à avaler n'importe quoi. Le simple fait de mastiquer, d'avaler quelque chose, sans nourrir forcément le corps, nourrit les rêves. Et les rêves de nourriture valent bien les autres - vous pouvez en vivre jusqu'à la mort.
Dans les premiers temps, mon appétit était primitif, orgiaque, imprécis, goinfre – une bouchée de Faulkner ou une bouchée de Flaubert, je ne faisais pas la différence -, mais il ne m’a pas fallu longtemps pour discerner quelques nuances. J’ai tout d’abord remarqué que chaque livre avait un goût propre – sucré, aigre, amer, aigre-doux, rance, salé, acide. J’ai également constaté que chacune de ces saveurs – puis, au fur et à mesure que mes sens s’aiguisaient, que la saveur de chaque page, chaque phrase et finalement chaque mot – s’accompagnait d’une série d’images et de représentations dont je ne savais pourtant rien vu mon expérience très limitée de la prétendue réalité : gratte-ciels, ports, chevaux, cannibales, arbre en fleur, lit défait, femme noyée, garçon volant, tête tranchée, ouvriers levant les yeux aux hurlements d’un idiot, sifflet d’un train, rivière, radeau, rayons obliques du soleil dans une forêt de bouleaux, main caressant une cuisse nue, casemate dans la jungle, ou moine agonisant
Si des études littéraires servent à quelque chose, c'est bien appréhender le funeste. Par ailleurs, rien ne vaut une imagination foisonnante pour ébranler votre courage.
Quang je pense à elle aujourd’hui, rien ne me vient à l’esprit hormis certains mots. J’ai beau me torturer les méninges jusqu’à risquer l’évanouissement, je n’obtiens qu’une vague silhouette et les mots pas assez de tétons – ainsi qu’un lourd parfum de sciure et de bière comme en dégage le plancher d’un saloon.
Si des études littéraires servent à quelque chose, c'est bien à appréhender le funeste.