[Samedi 22 mai 2021- Librairie des Champs magnétiques / 75012 Paris-Nation ]
Un arrêt dans une librairie connue, dans un quartier habité par des amis… j'ai craqué pour ces « Abeilles d'hiver »…au vu des thématiques, la Grande histoire croisant la petite, avec un « héros » anonyme… et puis l'apiculture, en noyau central et poétique !!.
La responsable de la librairie découvrant mon choix s'est lancée dans ses propres commentaires enthousiastes de cette lecture… Au demeurant, l'auteur aurait retracé la destinée d'un de ses parents lointains !
Une lecture dévorée… avec émotion.
Le cadre et l'époque : Janvier 1944. Les bombardiers alliés sillonnent sans fin le ciel de l'Eifel, région frontalière de l'Allemagne avec la Belgique….[ L'auteur est lié et familier de cette région de l'Eiffel, où il vit !]
Comme à chaque coup de coeur, je ralentis dans un second temps, pour retarder la séparation d'avec les personnages, et surtout , dans ce texte, avec Egidius Arimond, cet anti-héros ( des plus émouvants), professeur de latin et d'histoire…destitué à cause de sa « maladie » : des crises d'épilepsie ; il échappe à la mort sûrement grâce à son frère, national-socialiste, enrôlé dans l'aviation, car Alfons n'est intéressé que par une unique obsession : voler. Il est « nazi » sans prendre réellement conscience de ce que ce régime signifie pour la population civile.
Parmi celle-ci, les malades, jugés « parasites » et inutiles sont écartés et même supprimés. Notre instituteur, relégué, stérilisé de force ,va se consacrer à ses lectures, ses recherches et à ses colonies d'abeille… tout en faisant passer des fugitifs juifs…ce qu'il fait à la fois de façon bienveillante, mais aussi pour pouvoir payer ses médicaments très coûteux pour l'épilepsie !
Écrit sous la forme d'un journal qui s'étend de l'hiver 1944 à l'hiver 1945, «
Les Abeilles d'hiver » nous offre à la fois un traité poétique d'apiculture, une réflexion sur la liberté ainsi que sur les barbaries de toute guerre, une chronique détaillée de la vie des villageois à l'arrière et le portrait émouvant d'un homme sans qualité , attachant, malmené, par la fureur du régime nazi, [dont le pharmacien du village qui en est une figure repoussante , cruelle ;ce dernier, le volant ou lui refusant les médicaments indispensables à ses crises d'épilepsie, insistant sur le fait qu'il est un « parasite à détruire » puisqu'il n'est pas ,à combattre sur le front, comme les autres hommes du village. ]
Le journal d'Egidius, narre son quotidien, avec les abeilles dont il prend grand soin, en se rappelant des leçons de son père, lui-aussi apiculteur, la tenue de son jardin, ses astuces pour survivre et nourrir les fugitifs juifs, dont il fait passer la frontière… ses liaisons sentimentales avec les femmes du village (dont les maris, ou fiancés sont partis à la guerre), ses après-midis, à la bibliothèque, où il traduit les écrits d'un moine du XVe siècle racontant le retour dans l'Eifel du coeur de saint Cusanus, conservé dans du miel….mais aussi des courriers d'observations sur les abeilles qu'il transmet à un célèbre chercheur, en la matière.
Seule vraie lumière de ce récit apportant soutien affectif à notre "anti-héros" solitaire ,c'est son petit protégé, Franz, un jeune garçon qui vient l'aider au jardin, comme pour les soins et traitements aux abeilles auxquelles le gamin s'intéresse…Sans omettre un dernier compagnon précieux et silencieux : le chien…qui ira jusqu'à veiller un jeune fugitif…mal en point.
Egidius et un homme curieux, instruit, bienveillant, totalement pacifique, absorbé par ses études et ses abeilles, qui accaparent une grande partie de son existence. Pour le reste, il ne peut que déplorer la barbarie de l'Allemagne et son incompréhension devant
Le journal nous fait naviguer entre différents espaces temporels : le 15e siècle avec les écrits du moine, où il décrit son « parcours du combattant » pour honorer son devoir de rapatrier le coeur d'un Saint, ceci au risque de sa vie…. le miel et les abeilles auront, là aussi, un rôle essentiel à jouer…
Egidius passe beaucoup de temps à déchiffrer et traduire les textes de ce moine, puis nous revenons au présent de notre « héros anonyme", se débattant avec un quotidien où il faut qu'il se batte pour la nourriture, les médicaments ; organiser, préparer les passages des fugitifs juifs… Et un « Temps » très différent , celui des abeilles, comme « atemporel « si ce n'est celui des saisons… se succédant à l'infini !... Un temps où il n'y a pas de guerre, pas de nazis, pas de juifs… pas de bombardements, ni tortures, ni assassinats...ni persécutions !
Un homme de l'ombre… ayant vraiment existé [ l'auteur , dans ses remerciements, à la fin de l'ouvrage nous explique la genèse de ce livre : une sorte de réparation pour la vie d'un Juste, malmené et oublié à tort ! ]
J'ajoute à ce billet des extraits touchant aux comportements et à la vie des abeilles, ce qui m'a particulièrement captivée… » ; traité d'apiculture , nous faisant oublier la guerre et les bombardements...Cette apiculture indéfectiblement liée à Egidius, qui y consacre sa vie ...
Un très beau livre pour honorer un « personnage aussi "très beau" , humainement et intellectuellement… à qui l'auteur rend justice, dignité et reconnaissance…
« Jeudi 13 juillet 1944
Le bruit des attaques ne semble pas déranger les abeilles; elles vivent dans un monde différent, apparemment pacifique, et ne s'intéressent pas à la guerre. Elles rentrent de leurs vols de butinage chargées de pollen blanc, de chardons, de lis, de conifères et de camomilles provenant des prairies et des jardins environnants. Elles butinent comme si elles savaient qu'un hiver très froid les attend. (p. 216)”
“Les abeilles coopèrent dans des systèmes très complexes. Elles ne peuvent pas réinventer leur système social, ne peuvent pas simplement tuer leur reine et instaurer une république. Il leur a fallu des millions d'années pour s'organiser comme elles le sont aujourd'hui. Dans la ruche, tout semble être équipé au mieux pour la survie et le bien-être de la colonie.
Virgile aimait et appréciait déjà les abeilles, il les considérait comme diligentes, dotées d'un don artistique, car elles construisent de beaux-rayons de cire. Il a même vu dans leur organisation étatique le modèle de l'Empire romain; il louait leur bravoure au combat, qu'il comparait à celle des courageux soldats romains. Mais les abeilles ne sont pas agressives; elles ne pourraient jamais conquérir d'autres colonies et les soumettre; quand elles ne sentent pas attaquées, elles sont pacifiques. (p. 22)”