Citations sur Sanction (32)
Là-bas [...] Les parents étaient tous pareils et les enfants aussi.
Mais ici, dans son quartier, les gens venaient de cent soixante pays différents. Les règles n’étaient pas les mêmes, et l’enfance était plus courte.
Désormais, quand elle n’avait pas cours, elle allait au tribunal de grande instance assister aux audiences. Un jour, elle y vit un avocat d’un certain âge, son client était accusé de fraude fiscale. Lors d’une perquisition, un paquet de viagra et un gode ceinture avaient été trouvés dans son coffre-fort. Au cours du procès, un policier plaisanta sur le sujet. Le vieil avocat leva les yeux de son dossier : « Vous trouvez ça correct de prendre de haut les faiblesses des autres ? » demanda-t-il. Ce n’était qu’une phrase, prononcée tout bas, d’une voix presque blanche, une phrase qui n’avait rien à voir avec la procédure judiciaire ni avec la culpabilité du client. Mais dans la salle d’audience, le silence se fit, et Seyma pensa à sa propre vie. Cinq ans plus tard, elle envoya sa candidature à cet avocat.
Le juge feuilleta le dossier. L’homme avait déjà été condamné quatre fois pour violences envers sa femme, l’hôpital appelait systématiquement la police. Dernièrement, il l’avait frappée avec une pagaie de canot pneumatique. La peine avait été assortie d’un sursis probatoire. D’où son placement en détention dans le cadre de cette affaire – en cas de condamnation, le sursis risquait d’être révoqué.
« Vous savez, quand il boit, il n’est plus lui-même », dit la femme. Il n’était pas méchant mais, avec la boisson, il avait mal tourné.
« La défense pénale, disait-il, c’est le combat de David contre Goliath. »
Le matin de la première audience, elle se présenta en avance au tribunal. On contrôla ses papiers. Elle ne trouva pas immédiatement la salle. Un huissier lut sa convocation, il hocha la tête, ouvrit la salle des délibérations à côté de la salle d’audience, c’est là qu’elle devait attendre. Elle s’installa à la table. Plus tard, le juge arriva. Ils parlèrent du temps qu’il faisait et de leur travail. Le juge lui expliqua qu’ils allaient juger une affaire de coups et blessures. Le deuxième juré arriva juste avant l’ouverture, il était professeur dans un lycée professionnel. C’était son cinquième procès, dit-il.
Le courrier du tribunal de grande instance était imprimé sur papier recyclé. Il disait qu’elle avait été désignée comme jurée pour cinq ans, Elle composa le numéro de l’en-tête et dit qu’il y avait un malentendu, elle n’avait pas le temps pour ça. L’homme au téléphone était las. Elle pouvait tenter de se faire dispenser, répondit-il, et à sa voix c’était loin d’être la première fois qu’il prononçait ces mots. Il était possible de refuser la charge à condition d’être membre du conseil fédéral ou du parlement régional, national ou européen. Ou encore d’être médecin ou infirmier. Tout était dans la loi sur le système judiciaire, c’était à elle d’aller voir. Si, après ça, elle pensait toujours avoir un motif valable, libre à elle de rédiger une lettre, le tribunal statuerait sur sa demande après consultation du parquet.
Katharina interrogea l’avocat de la société d’informatique. Il lui dit qu’elle n’avait aucune chance."
« Tous nos souvenirs sont profanes, et tous sont sacrés. » p. 164
Il vivait de petites affaires, conflits de voisinage, rixes de bar et trafics de drogue – ses clients étaient des dealers de rue avec des sachets d’héroïne dans la bouche qu’ils avalaient quand ils avaient la police aux trousses. Il passait ses soirées dans un restaurant chinois malfamé. Tous les soirs, il allait s’asseoir dans l’arrière-salle pour jouer aux cartes. Autrefois, il avait défendu des joueurs compulsifs, des gens nerveux, hypersensibles, qui refusaient de devenir adultes. À présent, il comprenait pourquoi ils se sentaient en sécurité à la table de jeu. Ici, les règles étaient simples et claires, et tant que la partie durait, il n’y avait que cette salle et les cartes, le reste du monde n’existait pas.
Selon lui, elle avait du talent, mais elle était convaincue qu’elle était nulle, une sorte d’usurpatrice, que son travail ne valait rien. Pendant les déplacements, il leur arrivait de coucher ensemble, comme si ça faisait partie du jeu.
Dans son quartier, les parents n’amenaient pas leurs enfants à l’école. Quelques kilomètres plus loin, à l’ouest de la ville, c’était différent. Tom l’avait vu, un jour. Là-bas, les parents sortaient les cartables des voitures, ils embrassaient leurs enfants et les accompagnaient jusqu’au portail. Les parents étaient tous pareils et les enfants aussi. Mais ici, dans son quartier, les gens venaient de cent soixante pays différents. Les règles n’étaient pas les mêmes, et l’enfance était plus courte.