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Critique de Pecosa


Je pensais ne pas connaître Budd Schulberg, mais en fait j'ai aimé les films dont il fut le scénariste, Sur les quais, La forêt interdite et surtout Plus dure sera la chute avec Boogey.
Je n'ai pas vu l'adaptation d'Un homme dans la foule tournée par Elia Kazan en 1957, et la lecture de cette nouvelle publiée en 1953 sous le titre Your Arkansas Traveler, m'a laissée sur le fondement.
La note de l'éditeur s'ouvre sur une citation de Schulberg: "Les écrivains sont pratiquement les seuls, à l'exception de quelques politiques vraiment honnêtes, à pouvoir égratigner le système. J'ai tenté de le faire. Et cela m'a poursuivi toute ma vie. »
Avec Un homme dans la foule, Schulberg ne se contente pas d'égratigner, il joue plutôt les Pythonisses en décrivant par le menu l'inexorable ascension du « vagabond de l'Arkansas », Lonesome Rhodes, un white-trash de Riddle, qui débarque un beau matin dans la petite station radio de Fox Wyoming, agace la programmatrice, Marshy, mais tape dans l'oeil du propriétaire tant il exsude de l'américanité par tous les pores de sa carcasse. Très vite, une étoile est née. Grace à sa mythologie familiale, tonton, mémé, la ferme, son parler « vrai », l'authenticité de sa ruralité qui rassure les auditeurs terrorisés par les rouges, les étrangers et la guerre en Corée, Rhodes grimpe les échelons, acquiert une stature nationale, se pique de politique, et devient un leader d'opinion incontournable dans des domaines qui dépassent largement son champ de compétence.
Lonesome est un héros populiste comme l'Amérique les a toujours aimés, pas façon La vie est belle de Capra, mais plutôt façon Donald quelques décennies plus tard.
« J'ai essayé de lui dire: « Lonesome, tu es très bien tant que tu fais des plaisanteries sur le whisky de maïs et que tu racontes tes histoires du cousin Abernathy, à Riddle. Mais tu ne crois pas, qu'avant de faire des déclarations sur la Chine, tu devrais en savoir juste un petit peu plus sur le sujet?
Au nom du peuple, Lonesome a déclaré: « le peuple sait jamais. le peuple est comme moi, stupide comme une mule; c'est juste qu'on sent c'qui est juste. »

Ou plus loin : "Il avait envoyé une de ses Lettres Ouvertes aux VIP -celle qui était destinée à Churchill pour lui dire que la Grande -Bretagne devait cesser de se planquer derrière nous et l'avertir que lui, Lonesome, était prêt à larguer les Britanniques et à conseiller aux Américains de leur fermer les frontières, comme à n'importe quelle entreprise en faillite. L'Amérique se portait mieux, avait-il affirmé à ses trente millions d'auditeurs et de spectateurs, quand elle se tenait seule, « comme elle l'était à l'époque d'la guerre avec l'Angleterre, quand on a conquis notre indépendance. »

Un homme dans la foule nous ferait presque craindre un dénouement à la Impossible ici, de Lewis Sinclair. Avec Beaucoup d'acuité et de causticité -la piquante et lucide Marshy est la narratrice témoin longtemps passive des excès de Lonesome- Schulberg démonte en 90 pages l'horlogerie interne d'un dangereux crétin enfonceur de portes ouvertes qui croit pouvoir transposer au 20ème siècle une vision idyllique des Pères Fondateurs, et persuade des millions d'électeurs, grâce à son langage savamment calibré (un peu de régionalisme, un brin de vulgarité et de sexisme...) que la vox populi est détentrice d'un sens commun magique comme la baguette de la gentille fée. Un gars de la campagne authentique et rustique comme le camembert du même nom qui dort dans des palaces, s'enivre et roule en voitures de prestige... car si les classes les plus modestes font son succès, lui n'a pas perdu de vue la couleur verte des dollars et fait fructifier son capital. Lonesome fait son beurre sans état d'âme sur le dos de ceux qu'il prétend incarner. Quant à Marshy, elle symbolise la presse qui nourrit parfois une créature monstrueuse qui finit par tout dévorer.
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