Un titre intrigant…
Le titre du dernier roman d'
Ingo Schulze m'a laissée perplexe. L'illustration de couverture, deux énormes blocs de béton avec des rayonnages de bibliothèques évoquant une gigantesque prison, fait froid dans le dos. Les livres, au lieu d'ouvrir sur le monde, enferment et séparent les univers. Quel paradoxe ! Puisque l'histoire se déroule en ex-RDA, avant et après la chute du Mur, je n'ai pu penser qu'à la Stasi et à une bande de criminels « bien sous tous rapports » en son sein. Fausse piste… on n'est pas chez
David Young (
Stasi Block, Ed. 10/18) !
Le roman est intéressant, quoique curieusement construit en trois sections inégales. Un narrateur et une narratrice se succèdent dans la conduite du récit. La première partie s'achève au milieu d'une phrase. J'ai cru à un défaut d'impression. Je ne dois pas être la seule à avoir pensé à retourner l'opus à son distributeur. Cette interruption brutale est volontaire — et sommaire comme procédé. Agacée, j'ai failli laisser tomber ma lecture.
Finalement, l'auteur moqueur a réussi à me captiver. Il faut lire le livre comme un roman psychologique, non comme un roman historique. On n'apprend quasiment rien sur la RDA, décrite par petites touches ironiques et « ostalgiques ». L'histoire se déroule dans une librairie d'ouvrages rares et anciens, coupée du monde et de ses réalités. Des passionnés de lecture trouvent chez le libraire Paulini un havre de culture hors du temps. Pas de politique, pas de contestation, pas de dissidence, hormis la mention d'un nom ou deux, faisant figure d'alibis (
Ernst Bloch, Rudolf Bahro). le narrateur avoue en passant avoir connu une jeunesse heureuse en RDA, ce qui explique ses ambiguïtés dans l'évocation d'un régime qualifié par d'autres de dictature. L'inévitable surveillance politique de la Stasi, imperceptible dans la première partie n'est révélée qu'après coup, dans une banalisation qui est un parti pris.
Bien plus redoutables semblent être les dérives ultérieures de l'extrême droite gagnant une partie de la population. Mais ce n'est pas non plus de cette fange qu'émergent les « braves et honnêtes meurtriers ». Qui sont-ils ? D'ailleurs, pourquoi ce pluriel qui parait désigner une organisation ou un groupe d'assassins ? de quelle mafia s'agit-il ? Rien n'est élucidé. le titre serait-il une promesse non tenue ? L'ellipse dans laquelle se complaît le narrateur laisse le lecteur, parvenu sans ennui au bout d'un récit alambiqué, songeur et indécis… À lui de décider. C'était peut-être le but ?