Citations sur La mulâtresse Solitude (22)
Et toi, pauvre zombi qui te délivrera de tes chaînes ? La jeune femme répondit en souriant : Quelles chaînes, Seigneur ?
(p. 89, Chapitre 4, Partie 2, “Solitude”).
À la naissance de Bayangumay, la grande ville des bords du fleuve, lieu d'ombre et de luxe, de tranquillité, portait encore le nom de Sigi qui signifie : Assieds-toi. Mais depuis qu'on y embarquait les esclaves, elle n'était plus connue que sous le nom de Sigi-Thyor : Assieds-toi et pleure. Et désormais, de proche en proche, des terres connues aux plus lointaines, qui vont au-delà du pays des Balantes, les peuples qui craignaient de devenir gibier se faisaient chasseurs, oubliant qu'une seule et même plaie s'ouvrait à leur flanc. (...) Une parole récente courait dans toute la région : Autrefois nous ne craignions que nos ennemis, aujourd'hui nous avons peur des amis et demain, nous lancerons la pique sur nos mères.
Nombre de négresses d'eau douce se faisaient faire des enfants chapés, qui échapperaient à la couleur, à la vieille malédiction noire. Elles voyaient dans les événements un signe de Dieu, l'assurance qu'il pardonnait, était sur le point de sauver la race.
[...] Puis d'une voix monocorde, mais toujours traversée par ce même rire, elle prononça les paroles qui devaient s'attacher à elle, tout au long de sa brève éternité:
-Avec la permission, maître: mon nom est Solitude.
Quand la guenon a grimpé l'arbre pour la première fois,tout le monde a vu que son derrière était nu.
Car sa mère était indubitablement vieille, telle une vieille case branlante, avec sa peau fripée et ses plaques de moisissure grise au visage, ces touffes d’herbe rose sur le corps, un peu partout, comme à toutes celles qui n’ont pas su passer au travers du fouet. Il y avait aussi cette oreille manquante, qui l’obligeait à parler de biais, en mettant sa main en cornet, comme les vieilles d’entre les vieilles ; et le boitillement qui lui venait du tibia mal remis, dont une pointe perçait, encore, donnant à Man Bobette une démarche d’insecte abîmé, de mouche a laquelle on a enlevé une aile.
Dyadyu, Dyadyu, je te rends grâces d’avoir fait de moi ta femme. Et Dyadyu ne répondait pas, et la toute jeune épouse cherchait une autre formule, et finalement elle laissa parler sa propre bouche : Dyadyu, Dyadyu, dit-elle, mon ventre s’honore de porter la graine d’un arbre tel que toi.
Les tâches étaient dérisoires, et d’une facilité enfantine au regard des champs : sitôt la cloche, on se lavait soigneusement, on chassait l’odeur de négresse et puis l’on s’habillait de façon coquine, on aidait celles aux cheveux crépus à se faire une coiffure décente, on s’en allait à la cuisine déjeuner d’une mangue ou d’une crème au lait.
Et la petite fille se demanda ce qu'elle préférait : si c'était de tourner en chien à forme de chien, ou bien en chien à apparence humaine, tel ce nègre efflanqué, tout en os, qu'elle avait vu avec Mlle Xavière, le jour de la visite aux voisins du Bas-Carbet ; ce vieux nègre tout nu dans sa niche, les yeux clos, un collier de fer autour du cou.
Nègres, mes beaux nègres feinteurs, mes gentils nègres à ricanades savez-vous quoi ?… parfois je me demande pourquoi Dieu Dieu a créé l’homme blanc, et ça me turlupine, là, dans ma grosse tête…