A
la fin des années 30, dans la région de Mayence, sept prisonniers (des opposants allemands au régime nazi) s'évadent du camp de Westhofen. Aussitôt l'alerte est donnée, la chasse à l'homme lancée, et le commandant du camp fait ériger sept croix comme autant de futurs poteaux de torture, où les évadés rendront leur dernier soupir dès qu'ils auront été repris. Parce qu'il n'est absolument pas envisageable qu'ils disparaissent dans la nature; un pouvoir totalitaire ne saurait tolérer pareil affront. Et la traque est intense, les mailles du filet très serrées, l'information diffusée dans les journaux et sur les ondes, les réseaux de mouchards sont activés, on ne donne pas cher de la liberté des fugitifs. Et de fait, ils sont repris assez rapidement, sauf un : Georg Heisler. Pourtant repéré à de nombreuses reprises, il reste insaisissable, échappant chaque fois d'un cheveu à ses poursuivants, de plus en plus énervés et furieux. le hasard, la chance, une complicité inattendue ou une aide inespérée le maintiennent vivant et libre pendant une semaine. Après... à vous d'aller au bout du roman pour connaître son sort.
Bien plus qu'un suspense policier ou le récit d'une cavale improbable, "
La septième croix" est le portrait d'une Allemagne qui, après la défaite de la Première Guerre et la débâcle économique qui a suivi, s'est engagée dans la voie du totalitarisme national-socialiste. La société est devenue hyper-contrôlée et hyper-contrôlante, les faits et gestes sont espionnés, les délations vont bon train, les chefs d'immeubles et de quartiers sont aux aguets pour démasquer les traîtres à l'ordre nouveau. La résistance interne n'a pas été totalement anéantie, mais sa marge de manoeuvre pour éventuellement venir en aide à Georg est infime, et le moindre mot ou acte peut devenir héroïque à force d'être périlleux. "Était-il permis de mettre un homme en danger pour en sauver un autre ? Hermann pesa et soupesa tout encore une fois : oui, c'était permis. Pas seulement permis, mais nécessaire".
Ecrit en 1939, lors de l'exil de l'auteure en France et publié pour la première fois aux USA en 1942, ce roman polyphonique met en scène une foule de personnages autour de Georg, qui l'ont connu ou pas, qui vont le croiser ou pas, qui partagent ses convictions ou ne pensent qu'à le livrer à la Gestapo. de lâchetés mesquines en gestes anodins salvateurs donc suicidaires, de la résistance au fanatisme des SS en passant par la masse de ceux qui ont adhéré au parti pour avoir à manger et éviter les problèmes, la nature humaine se révèle dans l'adversité, et pas toujours comme on aurait pu s'y attendre.
La narration est très réaliste et détaillée, passant d'un point de vue à l'autre avec une fluidité étonnante. L'auteure joue aussi avec les focales, passant des détails de la vie quotidienne à des plans panoramiques sur les paysages environnants, ou à une dimension quasi-mythique quand elle insère des éléments de l'univers du conte ou quand elle remonte aux conquêtes de l'époque romaine.
Le récit est tendu, haletant, la psychologie des comportements, rendue infiniment complexe par le contexte de dictature, est analysée très finement. Je ne suis pas totalement emballée ni convaincue par ce style (et/ou la traduction?), mais ce roman est un texte profond et puissant, qui montre qu'en dépit des circonstances les plus terribles, "au plus profond de nous il y avait aussi quelque chose d'insaisissable et d'inviolable".
En partenariat avec les Editions Métailié.
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