Quelque temps se passa ainsi ; Jules avait reçu la défense expresse de jouer avec Blaise, que les gens du château regardaient avec méfiance. Personne ne lui parlait ; on lui tournait le dos quand il venait faire une commission au château ; on refusait sèchement ses ordres de service. Hélène était la seule qui lui dît un bonjour amical en passant devant la grille.
À mon petit-fils Pierre de Ségur
Cher enfant, voici un excellent garçon, sage et pieux comme toi, qui te demande une place dans ta bibliothèque. Tu ne repousseras pas sa prière et tu lui donneras un poste de faveur en l’honneur de ses vertus et de ta grand-mère.
Que c'est donc triste d'aimer les gens qui vous quittent.
La comtesse était restée debout au milieu de sa chambre, surprise et troublée par les paroles de Blaise et l'explosion de chagrin qui les avait suivies.
< < Ce refus est singulier, se dit-elle ; je lui offre tout un avenir..., et il ne l'accepte pas !... C'est dommage que tout cela vienne d'un fils de portier. Ce serait beau et noble dans une classe plus élevée... > >
Jules. - Pourquoi pas un habit au lieu d'une redingote?
Blaise. - Parce qu'une redingote est plus utile, et qu'un habit me mettrait au-dessus des gens de ma classe, monsieur Jules.
Le comte retomba sur un fauteuil, le visage caché dans ses mains. La dureté orgueilleuse de sa femme le navrait. Il lui avait toujours reproché sa sécheresse et son manque de cœur ; mais, sec et égoïste lui-même, il n'en avait jamais souffert comme en ce jour où tout était changé en lui.
- Je vous remercie, monsieur, je n'ai plus faim ; je n'en mangerai pas.
- Bah ! les bonnes choses se mangent sans faim. Prends un verre de frontignan avec un biscuit !
Au moment où il posait la bouteille, il entendit la porte de l'appartement du comte s'ouvrir ; en une seconde le valet de chambre et ses camarades disparurent, laissant Blaise seul, devant la bouteille de frontignan et les biscuits.
Le comte entra pour envoyer chercher Blaise, que Jules demandait. Son étonnement fut grand en le voyant seul, les armoires ouvertes et le frontignan et les biscuits devant lui.
- Je te prends donc sur le fait. Tu ne manques pas de front, mon garçon ! s'exclama le comte. Venir jusqu'ici pour voler mon vin et mes biscuits en l'absence de mes gens ! C'est très bien ! très bien !
- Monsieur le Comte, vous vous trompez, dit Blaise, les larmes aux yeux. Je n'ai touché à rien, ce n'est pas moi qui ai sorti ce vin et ces biscuits !
- Et qui donc ? Serait-ce moi, par hasard ? répartit le comte.
L'office du soir se termina par la bénédiction du Saint Sacrement, et cette belle et heureuse journée laissa des impressions chrétienne et salutaires dans plus d'un cœur rebelle jusque-là à l'appel du bon Dieu.
C'est dommage que tout cela vienne d'un fils de portier... Ce serait beau et noble dans une classe plus élevée...
Quant à la pension, à l'éducation et aux avantages que vous voulez bien me promettre, vous me permettrez de tout refuser.
Je n'ai besoin de rien; je ne veux pas sortir de ma condition, ni mener la vie d'un paresseux; je gagnerai mon pain comme a fait mon père.