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Critique de HundredDreams


« Toutes les mémoires étaient recouvertes de croix de cendre, de grands cimetières d'actes dont l'oubli avait emporté les ombres. Chacun pouvait prétendre renier leur existence. Mais les croix demeuraient, elles prouvaient qu'on ne décidait pas du destin de nos actes et qu'aucune trace ne s'effaçait jamais de la surface de la terre. »

Quel roman passionnant !
Je suis une fervente lectrice de littérature historique et ce roman m'attirait depuis sa parution. Et là, je dois bien avouer que j'ai pris énormément de plaisir à cette lecture qui m'a emportée dans une période historique qui me fascine, le Moyen-âge. le récit évolue autour de l'année 1348, date marquée la terrible peste noire.
C'est un roman baigné de lumière et de ténèbres. Il nous parle de foi, de vocation et de liberté ; d'Inquisition et d'hérésie, de tortures, de persécutions et de condamnations au bûcher ; d'ambition et de folie, de jalousies et de rivalités, de haine et de trahisons, de regrets et de sacrifice.

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Le roman arbore deux temporalités : il débute en 1367 dans un monastère du Languedoc où le prieur Guillaume, un des hommes les plus respectés de l'ordre des Dominicains, sentant sa mort approcher, décide de se confier en couchant ses mémoires sur le plus beau des parchemins, le vélin.

« Son heure était proche, son coeur de vieil homme le savait. La prière aurait bien mieux valu que le dévoilement de son passé. Mais la prière ne suffisait pas. Les croix de sa mémoire y résistaient, veillant sur de grandes sépultures dont il devait à présent rendre le souvenir au monde. »

Il confie à deux jeunes frères dominicains, Antonin et Robert, la mission à priori anodine de se rendre à Toulouse pour se procurer des vélins, des plumes et de l'encre de qualité. Les deux hommes quittent le monastère de Verfeil, heureux d'échapper pour quelques jours à la vie monacale. Mais les révélations du prieur font peur et menacent l'ambition de certains membres haut placés de l'Eglise.
De ce voyage à Toulouse, un seul des deux frères reviendra avec les parchemins et deviendra la plume du vieil homme.

« Il fallait percer cette mémoire comme un abcès. »

Nous sommes en présence de deux temps historiques qui s'entrelacent, de deux intrigues qui se répondent. En effet, les aveux du prieur Guillaume remontent le fil de l'Histoire jusqu'à l'an 1313, date à laquelle jeune novice, il devient l'assistant d'Eckhart de Hochheim, un des plus grands intellectuels, théologiens et philosophes dominicains de son époque. Sa confession révèle la destinée de son maître au temps de la Peste noire, il confie la vérité sur les origines de ce fléau qui s'est propagé en Europe en 1348 et qui a décimé un tiers de la population.

« … les souvenirs ont des bras. Pour nous enlacer comme ceux d'une mère bienveillante et réchauffer nos coeurs ou bien serrer nos gorges pour étouffer notre soif de vivre. »

A chaque instant, on ressent la présence d'Eckhart dans la cellule du prieur qui lui aussi, semble conscient de cette ombre qui l'enveloppe. Elle paraît même s'étoffer, prendre corps à chaque souvenir ravivé et inscrit sur le parchemin.
Ainsi, « Croix de cendre » invite les lecteurs à suivre l'incroyable destinée de Maître Eckhart. Cet homme charismatique et mystérieux, qui prêche en allemand, séduit, fascine, envoûte le peuple, mais l'arrogance de sa foi et son aura grandissante font des envieux. Malgré la puissance de l'ordre dominicain, il est accusé d'hérésie et poursuivi avec acharnement par l'Inquisition.

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Si « Croix de cendre » se rapproche davantage dans les premières pages du roman historique, de la quête spirituelle et de l'étude théologique, véritablement passionnant d'ailleurs mais demandant un peu d'attention pour ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas les oppositions et les rivalités qui opposaient les Dominicains et les Franciscains, la suite du récit se découvre peu à peu comme un thriller médiéval et prend les allures d'un superbe roman d'aventure.
Après donc ce petit temps d'adaptation, je me suis laissée emporter par l'écriture d'Antoine Sénanque qui se révèle un superbe conteur, par l'atmosphère pleine de tensions, de remous politiques et religieux, de confidences dévoilées.

« Les bûchers s'allumaient à travers le pays. On brûlait pour une parole, pour un livre. On chassait les juifs, les bégards, les sorciers. Chaque jour moissonnait une énergie puissante et sombre. le monde grondait sous ces courants contraires qui s'entrechoquaient. »

Cette fresque historique nous fait voyager à travers les universités d'Europe, les communautés de béguines d'Allemagne et de Flandres, jusqu'aux portes de l'Asie où les caravanes commercent avec l'Orient. Riche en rebondissements et en secrets divulgués, elle mêle avec brio complots et passions humaines, temps et Espace.

Antoine Sénanque fait revivre des personnages historiques auxquels il associe des personnages de fiction. Monstrueux ou attachants, redoutables ou bons, ambitieux ou fraternels, ils sont captivants, tous magnifiquement incarnés, à tel point qu'ils prennent vie sous la magnifique plume de l'auteur.
L'auteur nous offre également de beaux portraits de femmes. Je suis entrée dans l'intimité des béguines et j'ai savouré la douceur de vivre des béguinages.

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A aucun moment, je ne me suis égarée dans la narration. L'histoire m'a emportée par la richesse de ses détails, par la finesse de sa construction, par la personnalité complexe des personnages, par le mystère qui entourait la vie d'Eckhart et de son jeune disciple Guillaume. J'ai eu envie de reprendre maintes fois ma lecture, j'ai tourné les pages avec envie, avec avidité, avec émotions.

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Bref, Antoine Sénanque réussit avec beaucoup de talent à marier petite et grande Histoire dans ce roman passionnant et émouvant, magnifiquement écrit et au suspense redoutable.
Un très grand plaisir de lecture, un coup de coeur assurément.
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