Parole 24
on a porté mon père en terre
je me souviens de ses yeux ouverts
de sa main ouverte
de sa voix ouverte
les fleurs sont de faux étendards
mon père est dans le vent
il claque dans la clarté
il me raconte l'enfance des cyclones
il me prévient des volcans
il veille…
Parole 45
qu'un jour le vent domine la ville
et nous voilà corsaires jetés
en pleine messe océane
nos grappins cherchent la pierre
des maisons qui nous furent interdites
au salon gardé par des bêtes de faïence
sommeille l'incendie
nous brisons ses rêves
à coup de mots sauvages
après nous le feu regarde
avec de grands yeux ouverts
la faïence foudroyée
le feu fou de vent debout
…tout cela se bouscule
en couleurs métaphores /
du bleu jacaranda
au rouge vif flamboyant /
tout cela se pavane
en palette rhétorique /
du jaune canéficier
au vert-feuille tecoma /
mais où l’iode et le sel
parfumant nos blessures /
celles du cœur et du corps /
nous vivons un langage
où la terre est charnelle /
où la pierre est fertile
et l’arbre un voyageur /
je n’ai rien appris
de la neige-l’héphémère
sinon le temps qui passe
et nudité stérile /
où ton ventre de fougère /
de houle arborescente
et que me vaut la mer
sans pluie tambourinaire
J’écris ces pages en vrac
j’oublie le dérisoire
des mots et des syllabes
je mets dans le poème
toute ma foi païenne
avec prière sauvage
et rituel animiste
je dis à l’arbre debout
prête-moi tes racines
plongées loin dans la terre
pour diviser les vents
à cette heure de bourrasque
Je dis à la pierre nue
donne-moi l’insolence
enclose en l’immobile
cette forge en travail
dont il me faut le feu
Je dis aux grands orages
d’investir ma charpente
et d’irriguer ma gorge
j’ai mission très urgente
de crier Mandela
avant toute autre messe
Parole 1
mourir est pluriel
tu reviens chaque fois entre parole et paroles
quérir la déblessure de la race et du vivant
où faudrait-il aller
pour trouver l’ombre de la mer
ta race : close derrière tes livres
à défaut de récitation en plein vent
ta race n’est deuil ni fête foraine
autant reprendre ta racine aux manèges de la mer
reste l’ILE – Femme – Terre
au seul visage
au corps d’ardoise folle
où périr les mots
est un soleil crié
le vivant ton père mort
cogne corps noir à la terre à la pierre
Édouard J. Maunick, "Cholo!"
"Cholo!" fait partie du recueil de poésie d'Édouard J. Maunick, Brûler à vivre / Brûler à survivre (Sarcelles: Le Carbet / Maison de l'Outre-Mer, 2004, pages 16-19).
Le début du poème, dit par l'auteur, est enregistré pour Île en île le 14 janvier 2006 à Tamarin (Île Maurice).