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Critique de berni_29


La pièce démarre par la vision du spectre d'un défunt, le roi du Danemark, le père d'Hamlet qui s'appelle lui aussi Hamlet et qui s'adresse à son fils. C'est une injonction, il lui révèle que celui qui est monté au trône après son décès, son frère Claudius, celui qui a aussitôt épousé la mère d'Hamlet, est un assassin et un usurpateur de la couronne, c'est lui qui a empoisonné le roi qu'il était...
Le spectre crie vengeance et dès lors son fils lui promet de le venger... C'est une question d'éthique.
Le propos fondateur de la pièce est donc celui-ci : comment rétablir la couronne, la légitimité, la dignité, le sens de l'existence ?
Maintenant je vais vous raconter une autre histoire, celle d'un lecteur, le lecteur que je suis, peu amateur de lectures théâtrales jusqu'ici...
Pour venir à Hamlet, j'ai choisi la traduction d'Yves Bonnefoy, poète que j'aime beaucoup depuis l'adolescence. Pour venir à Hamlet, j'ai pris mon temps, l'ouvrage sommeillait dans ma bibliothèque. S'il m'est arrivé de voir quelques représentations de pièces de William Shakespeare comme le Roi Lear, je n'ai jamais vu Hamlet sur une scène théâtrale. Il m'est même arrivé il y a bien longtemps de m'inscrire dans une association qui proposait des cours de théâtre afin de vaincre ma timidité à m'exprimer en public et j'ai ainsi jouer un petit rôle dans La Nuit des Rois devant un cercle exclusivement composé de copains, mais c'était il y a bien longtemps...
Voilà pour ma seule expérience vécue avec Sir William Shakespeare.
Cet été, un de mes coups de coeur littéraires fut Hamnet, bouleversant roman de Maggie O'Farrell, sorte de biographie du célèbre homme de théâtre sans jamais le nommer, évoquant la mort tragique de son fils... Dans ce roman on devine aisément ô combien le destin douloureux de son enfant et le chagrin qui s'ensuivit, lui donna l'inspiration pour écrire l'une de ses plus belles tragédies théâtrales...
Alors, je m'étais promis à la fin de l'été de lire Hamlet et dans la lecture de cette pièce que je viens de terminer et qui m'a emporté, bousculé, où je n'ai pas tout compris je vous l'avoue humblement, j'ai cru entrevoir quelque chose, non pas un spectre mais mon ressenti : Shakespeare, dans l'impossibilité de tenir son rôle, sa place dans sa propre existence va trouver un lieu pour agir, le théâtre, agir en jouant sur scène, en mettant en scène la vie, il y met justement ici en scène le combat que l'on peut jouer et perdre contre la mort...
Avant de lire Hamlet, j'avais appris que lors des premières représentations de la pièce, Shakespeare jouait lui-même le rôle du spectre du défunt, s'adressant ainsi au personnage de son fils Hamlet... C'est un peu comme s'il avait voulu à travers cette incarnation s'éclipser du monde des vivants et rejoindre celui des morts pour mieux s'adresser à son fils qui venait de mourir quelques mois auparavant. J'imagine que cela fut pour lui une épreuve et peut-être aussi une délivrance. Mais ça, c'est mon interprétation et elle n'est pas vraiment théâtrale...
Quelle puissance ! Tout y est ici, le théâtre de la vie, l'idée du sens de la vie, une manière de douter avec art, dans une superbe gestuelle qui nous demande de laisser tomber les mots, les mots, les mots pour agir sur la scène de la vie... Quel comble ! Un texte qui nous dit de laisser tomber les mots... Quelle audace tout de même !
Qui ne connaît pas Hamlet, pièce injustement réduite à peut-être la plus célèbre réplique théâtrale universelle, mais que se cache-t-il derrière cette réplique ?
« Ou inclusif », « ou exclusif », telle est peut-être la vraie question ! Il n'y a pas d'entre-deux lorsque Shakespeare nous invite dans Hamlet à nous interroger sur ce questionnement du sens de la vie.
Emporté par les mots, j'y ai vu une gigantesque énigme, j'y ai vu des portes à ouvrir à l'infini... Il me reste désormais à les franchir. Il est jouissif qu'un texte vous résiste un peu, ne vous tende pas d'un seul coup toutes les clefs du royaume.
Hamlet c'est l'histoire d'un échec et c'est peut-être ce qui rend fou son héros ou lui donne cette impression de devenir fou auprès des autres.
Toute la pièce est dans la méditation d'une action qui n'agit pas, la hissant jusqu'à à nos propres existences. Et c'est beau.
Formuler des mots, n'est-ce pas déjà agir ? Pour Shakespeare, monter sur une scène, avoir une parole poétique, c'est l'acte suprême.
Hamlet est touchant dans son impuissance et son échec à faire l'acte qui lui permettrait d'atteindre l'éthique dictée par le spectre de son père. Tuer ce roi nouveau et usurpateur. Pourquoi ne le fait-il pas alors ? C'est toute l'énigme de la pièce qui montre la nécessité de l'acte sur les paroles mais en même temps son échec.
Cette impossibilité est posée au centre même de la pièce. Hamlet convoque des comédiens pour jouer une pièce qui ressemble à sa propre vie, de manière grotesque, presque ridicule, sous forme d'une autodérision... Pourtant le nouveau roi s'enfuit devant ce qui est représenté, se sentant visé, touché, pan dans le mille, ce qui démontre peut-être que c'est sans doute et seulement là qu'Hamlet a atteint son objectif.
Après avoir lu ou vu Hamlet, on ne peut plus retourner dans sa vie d'avant comme si de rien n'était.
« Ce n'est pas l'inquiétude qui rend fou Hamlet, c'est la certitude. » disait Nietzsche.
Entre l'être et le néant, il y a peut-être le faire.
Pourquoi aimons-nous le théâtre ? Pourquoi lisons-nous du théâtre ? Pourquoi allons-nous au théâtre ? Pour entendre peut-être une parole poétique qui transforme nos vies...
J'ai aimé Hamlet pour cela et j'ai envie d'y revenir.

Il est mort, il est mort, madame,
Il est mort, il est enterré,
À sa tête est l'herbe fraîche,
Une pierre est à ses pieds.
Oh ! Oh !
[Acte IV, scène V]
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