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Critique de JustAWord


Coincé entre l'Ukraine, la Russie et la mer d'Azov, la République Indépendante de Mertvecgorod (ou RIM) n'existe pas.
Sauf dans l'esprit torturé et inquiétant d'un auteur et poète français déjà lauréat du prix Sade en 2019 : Christophe Siébert.
Déjà publié Au Diable Vauvert avec Métaphysique de la viande, il nous revient avec Images de la fin du monde, premier volume des Chroniques de Mertvecgorod, ville-fantasme et mégalopole-poubelle où converge les plus vils instinct de l'humanité post-soviétique.
Vous qui entrez ici, perdez tout espoir, enfilez un FFP2 et achetez des capotes en bonne quantité, le voyage risque de secouer.

La cité du smog
Décrire Images de la fin du monde revient en réalité à décrire la mégalopole imaginaire de Mertvecgorod engluée dans son smog éternel et constamment survolé par des nuées de drones assassins puisque Christophe Siébert offre une visite guidée sous la forme d'un fix-up de nouvelles qui se transforment rapidement en livre-univers.
Tout commence par l'article d'un certain Vincent Lacroix, journaliste envoyé sur les traces du Svatoj, prince sadique aux visées révolutionnaires et ordurières qui dirige la Sit, une organisation criminelle underground emblématique de Mertvecgorod. Grâce à ce faux-article d'investigation en deux chapitres, Christophe Siébert emmène l'Européen (donc vous, le lecteur) dans sa création urbaine protéiforme où se croise le meurtre, la saleté, le sexe, l'humour noir et l'indicible (avec un supplément BDSM si possible).
Ne vous y trompez pas, Images de la fin du monde ressemble peut-être à un enchevêtrement de portraits glauques et dérangeants, c'est en réalité la peinture d'un seul et unique personnage qui importe : Mertvecgorod.
Comme Jeff Vandermeer avec Veniss Underground ou Ambregris, Christophe Siébert fait sortir de terre une ville gigantesque construite sur les ossements d'une civilisation mystique et friande de sacrifices humains pour la transposer en 2024–2025, quelque part dans un futur qui ressemble à s'y méprendre au nôtre.
Différence notable, Mertvecgorod s'affirme rapidement comme un défilé d'horreurs et de transgressions morales toutes plus violentes les unes que les autres pour le lecteur. Car la capitale de la RIM, symbole de la mégalopole moderne en pleine déliquescence morale, tiraillée entre l'influence post-soviétique et un néo-capitalisme carnassier, cette capitale n'a pas grand chose d'attirant (et ce n'est pas pour rien que son quartier le plus fameux porte le nom d'une maladie herpétique).
Trafic d'organes, tourisme sexuel, dépôt d'ordures, meurtres sauvages, sectes barbares et autres drones tueurs sont monnaie courante.
La création de Christophe Siébert vous saisit à la gorge dès les premières pages avec cet attentat monstre visant une cathédrale-ossuaire et un échangeur autoroutiers qui finit en carnage inimaginable.
Sexe, violence et technologie se mettent au service de la déchéance morale la plus pure.

La boue humaine
Tout au long des 21 textes qui composent Images de la fin du monde, nous voici dans les rues crasseuses d'une mégalopole qui semble fusionner la vision d'un accroc du sexe bourré de narcotiques et celle d'un sadique aux pulsions gores incontrôlables. Mertvecgorod nous offre une série de portraits tous plus hallucinants les uns que les autres avec une prédilection pour le sordide, le sang et les parties génitales charnues. Christophe Siébert explore les recoins les plus sombres et les pulsions primitives de l'être humain, cet endroit incongru et malaisant où sexe, mort et putréfaction se rejoignent.
On y croise l'histoire de deux frères assez désespérés pour se vendre à un combat à mort illégal dans lequel leur cerveau est contrôlé par un autre (et vous n'avez pas envie de savoir comment ça se termine), une secte qui kidnappe des enfants pour les faire souffrir et se suicider dans un même mouvement contestataire post-moderne, un homme prêt à dilapider son argent dans un lit pour organiser une orgie dantesque en l'honneur de sa grand-mère décédée, un vieux sado-masochiste amateur d'humiliations sexuelles particulièrement phalliques dont le rêve est de se construire un zoo humain, un gardien de nuit de musée prédateur sexuel…bref, une galerie de rebuts humains, de miséreux, de dingues et de tordus à en faire pâlir d'envie le grand Marquis lui-même.
Christophe Siébert observe l'être humain à la loupe, dissèque la crasse et vous offre au final une fresque qui dérange, qui bouscule, qui hante.
Symbole d'un capitalisme privatisé gardé par quelques oligarques et fascistes corrompus jusqu'à la moelle, l'univers du français impressionne par sa noirceur. Difficile de ne pas penser à l'oeuvre d'Antoine Volodine pour son côté post-soviétique sans une seule lueur d'espoir et sa tendance à rameuter des éléments quasi-mystiques entre sectarisme et chamanisme.
Impossible pour autant de coller Images de la fin du monde dans une case précise, puisque Siébert prend un malin plaisir à changer de genre, de l'horreur au noir en passant par la science-fiction et le fantastique.
Tout arrive à Mertvecgorod, surtout le pire.

L'abjection comme une contestation
Ce qui surnage pourtant à l'arrivée, c'est la capacité surnaturelle de Christophe Siébert à offrir des visions macabres et sexuelles qui frappent par leur sous-texte social. de la souffrance d'une jeunesse déjà condamnée par des adultes qui s'en foutent au désoeuvrement des miséreux broyés par une société inégalitaire et violente, l'auteur français nous livre une parodie grinçante et extrême d'une société post-capitaliste où tout s'achète et où le féminicide devient une épidémie incontrôlable. La révolution contre le système, vouée à l'échec et au drame, passe par l'excès, la violence aveugle et des tabous allègrement franchis, notamment en matière sexuelle.
À Mertvecgorod comme à Paris, les mamelles du pouvoir restent les mêmes : argent, sexe et violence.
Il serait dommage de ne pas insister sur la cohérence et le soin du détail apportés par l'écrivain à sa mégalopole imaginaire. Fiche Wikipédia fictive et chronologie d'une centaine de faits divers sont au programme des annexes en fin d'ouvrage, provoquant ce vertige ultime qui voit le lecteur se demander après trois cent pages si cette sinistre ville n'existe pas pour de bon.
Mais le véritable exploit de Christophe Siébert, c'est de fasciner autant son lecteur avec un sujet aussi extrême. L'ironie finale, c'est qu'Images de la fin du monde finit par nous donner envie de parcourir encore et encore les prospekts et autres rajons, de respirer son air cancérigène et de traquer les pires gourous sadiques dans les bas-fonds de Mertvecgorod.
Pas de happy-end par contre, juste une vision démente d'un futur de chair, de sang et de sperme sur fond urbain.

Dans ce gouffre de noirceur creusé de main de maître par Christophe Siébert, le lecteur découvre l'étendue de la perversion humaine et l'horreur d'un système corrompu jusqu'à la moelle. Livre-univers épatant sans aucune concession et à l'imaginaire macabre hallucinant, Images de la fin du monde fait du bien là où ça fait mal…c'est-à-dire partout !
Lien : https://justaword.fr/images-..
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