Nous jouissions de ne pas jouir. Nous jouissions du mensonge qu’était la jouissance dès lors que nous étions au royaume des morts.
Je n’étais plus jamais fatiguée, plus jamais désirante, plus jamais en colère, plus jamais triste, plus jamais joyeuse. J’étais devenue froide, sèche, dure, efficace, heureuse. Parfois je me disais que j’étais morte à l’intérieur. Parfois que j’étais devenue parfaite.
Ça m’a pris quatre semaines pour raconter toute ma vie, quatre semaines pour presque trente ans. Presque quatre cents pages. Trois cent quatre-vingt-douze exactement. C’était comme pour les cartes. On aurait pu calculer l’échelle. La réduction. Trente ans en quatre semaines, ça faisait du combien millième ? Trente ans en trois cent quatre-vingt-douze pages. Le calcul était facile à faire.
Les conversations aboutissaient toujours à ces questions. Qui était mort, à quelle attaque, à quel âge. C’était des sables mouvants où s’enlisait chaque échange social, sans espoir.
De l’avis général, faute de justice, on avait la paix.
De même que les cartes n’existaient plus, de même que les noms attribués aux lieux n’existaient plus, il n’y avait plus de passé.