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Critique de Woland


Woland
18 septembre 2014
Ici encore, Simenon retourne aux sources du roman populaire. Sous la plume d'un autre, les bases de son intrigue policière et le personnage de Jean, le charretier, auraient sombré dans le ridicule et le mélo. Mais la recherche de l'auteur, en quête d'une façon unique et jamais vue de raconter une histoire policière, et sa maîtrise de l'écriture qu'il doit sans doute autant à sa nature foncière qu'à un travail acharné dans les colonnes du journalisme de l'époque, retournent la situation comme une crêpière habile le ferait d'une pâte un peu trop lourde. "Le Charretier de la Providence" n'est pas seulement un roman policier, c'est surtout un drame humain singulièrement poignant, auquel assiste un lecteur peu à peu fasciné par sa profondeur et son absurdité.

A l'origine, évidemment, un cadavre. Celui d'une jeune femme retrouvée ensevelie dans la paille de l'écurie, sur l'une de ces péniches qui, non encore dotées d'un vrai moteur, qui remontent les chemins fluviaux en se faisant haler sur une partie du chemin par des chevaux. Nous sommes en effet à la fin des années vingt. Comment ce cadavre, celui d'une femme soignée, bien habillée et visiblement à mille lieues de l'univers de la batellerie, a-t-il fini dans la paille de "La Providence" ? Sur son cou, de grosses marques noires : elle a été étranglée par quelqu'un qui possède une sacrée poigne.

Sur "La Providence", personne n'a rien vu, personne ne sait rien et la péniche reprend bien vite sa route. (Il faut dire que, alentour, on n'a rien vu et on ne sait rien de plus. ) On finit cependant par identifier le corps : c'est celui de la troisième épouse d'un yachtman anglais, ancien officier de l'Armée des Indes, qui remontait lui aussi le cours de la Seine, entre deux péniches. Mais cette identification ne fait que placer un nom sur le corps d'une victime d'assassinat. Rien sur l'identité de son meurtrier et moins que rien quant à la façon dont cette bourgeoise bien nantie a atterri auprès des chevaux endormis de "La Providence."

Maigret est perplexe. On le serait à moins. A cela s'ajoute le fait que les autorités françaises n'ont aucune envie de troubler le veuf, ce gentleman qui, certes, aime à se pochetronner un peu plus que la moyenne mais qui est aussi un sujet, respectueux et décoré, de Sa Très Gracieuse Majesté. Surtout pas d'incident diplomatique !

Là, Maigret s'énerve. Si l'on excepte ses rapports délicats avec l'inspecteur Malgracieux, on ne peut pas dire qu'il fasse souvent dans la diplomatie. Et puis, disons-le tout net, il soupçonne fortement le mari (et l'amant, car la disparue avait son amant sur le yacht, de même que son époux voyageait avec sa maîtresse). Sans compter que ce n'est tout de même pas parce que l'Anglais a été décoré par George V qu'il faut tout lui passer !

Cette répugnance de Maigret, il le reconnaîtra lui-même, va sinon le bloquer, en tous cas l'orienter dans une mauvaise direction. Mais, dans un sursaut, il retrouve vite la seule piste valable et entreprend de la suivre ... à bicyclette - et sur soixante-dix-huit kilomètres, avec la pluie et la boue pour toutes compagnes. (L'idée du commissaire à bicyclette m'a beaucoup amusée, je dois l'avouer.)

Au-delà du crime, il y a aussi la passionnante promenade dans un milieu bien particulier, celui de la batellerie au temps où elle employait encore des chevaux ou des mulets, et cette façon unique qu'a Simenon de "croquer" ses personnages, principaux comme secondaires, par un ou deux détails qui, très vite, s'imposent à l'esprit du lecteur et leur donnent une étonnante réalité. Si peu de détails dans le fond et pourtant, on pourrait presque les toucher ... Il n'y a guère que leurs motivations qui nous échappent. L'écrivain nous en distille bien çà et là un éclat, un miroitement fugitif, à peine aperçu qu'il s'évanouit tout de suite dans la foule d'interrogations qu'il suscite. Mais cela s'arrête là. Par exemple, par la force des choses (il a les côtes éclatées et ne peut plus parler), on ne saura jamais ce que le charretier de la Providence voulait confier à Maigret. Et l'on reste là, le livre terminé, à se demander, à rêver ...

Le miracle s'est accompli : le lecteur s'est si bien "simenonisé" qu'il n'a même plus envie de savoir. le rêve lui suffit ... ;o)
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