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Critique de karmax211


Me l'étant promis il y a quelques mois, je visite ou revisite l'oeuvre de Georges Simenon.
Après - le chat - inspiré lors d'une visite à sa mère vivant une relation de couple malsaine, voici - le train - inspiré, lui, à l'auteur par les circonstances, en l'occurrence "lorsqu'il fut chargé de diriger avec les moyens du bord le centre d'accueil aux réfugiés belges à la gare de la Rochelle."
Car en 1939 Simenon se trouve à La Rochelle, qui fut sa ville d'adoption, et qui figure en bonne place dans trente-quatre de ses romans et nouvelles.
En 1939, c'est donc à La Rochelle qu'il apprend par la voix de la TSF la déclaration de guerre.
Chargé comme je viens de le mentionner de diriger le centre d'accueil des réfugiés belges, "La débâcle provoqua, de son propre aveu, une sorte de soulagement en lui. Comme s'il se trouvait débarrassé d'une vie qui lui pesait, qui n'avait plus de goût. La dure réalité des événements lui faisait prendre conscience de ses propres réalités."
Dans son roman, il y a donc un peu de lui dans ce Marcel Féron, marchand et réparateurs d'appareils radio, marié à Jeanne, une jeune femme issue d'une famille de petits bourgeois d'origine flamande, qui lui a donné une fille Sophie âgée de quatre ans, et enceinte de sept mois et demi lorsque les Allemands déclenchent, après presque une année de ce qui fut appelée la drôle de guerre, l'offensive qui allait balayer en quelques semaines la résistance impréparée de la France et de l'Angleterre, et donner une victoire éclair à Hitler.
Marcel a alors trente-deux ans.
Il est réformé à cause d'une myopie sévère.
Son obsession d'être séparée de ses lunettes fait qu'il a toujours à sa portée, dans sa veste ou son pantalon, une paire de secours.
Marcel est un garçon terne, le fils d'une mère rentrée nue et tondue un jour à la maison après l'armistice de 1918... une mère dont il est séparé à l'âge de onze ans.
Son père, fondé de pouvoir, rentre de la guerre alcoolique et trahi par une femme dont le comportement et la fuite vont renforcer son addiction.
À quatorze ans, Marcel tombe malade.
Il intègre un sanatorium dont il ne sortira guéri qu'à l'âge de dix-huit ans.
Ses quatre ans d'enfermement vont le marquer à jamais.
Lorsqu'il rencontre Jeanne, l'épouse, devient père, il a atteint ce qu'il croit être ce que la vie pouvait lui offrir de mieux.
Mais la guerre réveille en lui ce qu'il qualifie de l'appel du destin.
Le tragique lui rend, pour un temps, l'acuité qu'il avait perdue... un peu comme ses yeux de taupe auxquels ses lunettes permettent de voir ce que ses yeux ne devinaient qu'à travers des bourrelets de brume.
C'est alors la décision de l'exode.
Sa femme et sa fille montent à bord d'un wagon de voyageurs... lui doit se contenter d'une place dans un wagon à bétail.
Le convoi s'ébranle.
Au bout de quelques heures, le train est scindé en deux.
Marcel est séparé des siens.
Il n'éprouve rien d'autre qu'une liberté toute neuve, une liberté redonnée comme en cadeau... un cadeau à l'enfant qui en a été privé.
Marcel redécouvre la vie.
Dans son wagon, il y a une jeune femme, Anna Kupfer, une expatriée tchèque... une Tchèque juive...
Marcel et Anna vont vivre une passion amoureuse, qui va les conduire des Ardennes jusqu'à La Rochelle, et à La Rochelle dans un centre d'accueil.
Jusqu'au jour où, après des recherches sans précipitation, sans inquiétude, Marcel va retrouver sa femme qui lui a donné un fils.
Les adieux après la capitulation.
Le retour au pays.
Des années s'écoulent.
Marcel, à présent patron prospère, père de trois enfants, a tenu un cahier sur lequel il a raconté cette histoire... comme un legs à ses enfants pour leur prouver que derrière l'image de ce père morne, sans histoire, cet être embourgeoisé sans réelle envergure, se cachait un homme qui avait vécu...
Si le roman de Simenon a été très librement adapté par Granier-Deferre au cinéma en 1973... avec l'éblouissante distribution qu'on lui connaît : Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Régine, Maurice Biraud et beaucoup d'autres très bons acteurs, si ledit film "élève" ses personnages, et surtout Jean-Louis Trintignant alias Julien Maroyeur alias Marcel Féron, le roman offre une approche moins flamboyante, moins lyrique, moins romantique... mais plus réaliste, plus terre à terre, plus authentique, et surtout moins héroïque... voire glaçante pour ce qui est de Marcel renvoyé à la lâcheté, à l'égoïsme et à la trahison d'un homme n'hésitant pas à sacrifier l'amour au bien-être quiet du conformisme, du renoncement... aux lunettes embuées mais rassurantes, simplement parce qu'elles sont là...
Mission remplie pour le romancier Simenon qui, en moins de 160 pages nous fait vivre certains des aspects de l'exode de 1940, ce que celui-ci put générer de parfois extraordinaire et inattendu chez des individus rendus inexistants par la banalité du décor de leur quotidien. Il nous fait traverser la France d'est en ouest.
Nous fait respirer le printemps chaud des Ardennes et les embruns de la Rochelle.
Nous raconte une déroutante histoire d'amour, allégorie de la vie des anonymes plongés brusquement dans la tragédie, convoqués par L Histoire... chacun y répondant à partir de cet étrange mélange qui fait de nous ce que nous avons toujours été en voulant ou ne voulant pas l'être.
Du bon Simenon, de celui qui disait évoquant son oeuvre et son rapport à celle-ci : « Des idées, je n'en ai jamais eu. Je me suis intéressé aux hommes, à l'homme de la rue surtout, j'ai essayé de le comprendre d'une façon fraternelle… Qu'ai-je construit ? Au fond, cela ne me regarde pas. »
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