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Simenon aime les gens simples, les “monsieur tout-le-monde". Il aime les decrire quand le destin leur joue des tours, ou leur propose une aubaine (des fois c'est une et meme chose). Quand ils ne savent comment agir ou qu'ils agissent contrairement a leurs vieilles habitudes. Sans s'en rendre vraiment compte ou au contraire repondant a un besoin momentane de revolte.

Pour Marcel Feron, la guerre et l'exode oblige de son petit bled en Meuse vers le sud, vers l'inconnu, sont l'occasion d'oublier – momentanement? – la calme routine de sa vie. Une routine voulue, apaisante, mais insipide. Il sent que ce chamboulement lui est specialement adresse: “c'etait une affaire personnelle entre le destin et moi”.

Dans le train qui les mene vers le sud il est rapidement separe de sa femme et de sa fille. Il se retrouve dans un wagon surpeuple ou toute ancienne regle de conduite devient vite desuete, ou toute honte s'efface. Quelques gestes de solidarite qu'il entame envers une inconnue reservee deviennent en quelques jours une addiction. Ils se collent, ils se soudent, ils s'agglomerent. Amour? Pas vraiment. Aucune transgression non plus, dans ce train cette notion n'est pas de mise. Une aventure existentielle que le destin qu'il invoquait lui a concocte. Une experience nouvelle, differente de tout ce qu'il a connu et vecu. Va-t-elle tout chambarder? Une fois arrives a La Rochelle, il cherche et retrouve sa famille et un adieu un peu sec clot ce qui a ete un interlude, hors du temps, ne pouvant engager un quelconque avenir.

Il revient bientot dans son village, a son metier, a ses habitudes. Quand, une nuit, l'inconnue reapparait pour lui demander aide, il ne pourra, il ne voudra pas y repondre. Lachete? Presque pas. Il n'est pas fait pour se lancer dans les aleas de l'inconnu. Il ne peut engager ses petits achevements, surement pas sacrifier sa famille. Ce qu'il a vecu dans le train lui est cher, mais c'etait un entracte, que la guerre a permis. La guerre est un seisme qui perturbe tout, qui altere tout. Mais toute guerre a une fin.

Ce livre me rappelle La fuite de monsieur Monde, du meme auteur. Mr Monde avait voulu sa fuite, l'avait organisee, alors qu'ici le heros est traine par les circonstances. Mais dans les deux cas la fuite est temporaire, comblante en elle-meme, fructueuse car elle permet de revenir, tranquille, a ce qu'on a fui.

J'ai deja lu de meilleures relations de l'exode de 1940. Celle-ci est centree sur l'etrange sensation de liberte qu'il a pu provoquer chez certains fuyards. Et Simenon excelle a sonder les pensees et les reactions de ses congeneres en situations extremes. C'est toujours passionnant (pour finir avec un mot adapte a la trame).
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Me l'étant promis il y a quelques mois, je visite ou revisite l'oeuvre de Georges Simenon.
Après - le chat - inspiré lors d'une visite à sa mère vivant une relation de couple malsaine, voici - le train - inspiré, lui, à l'auteur par les circonstances, en l'occurrence "lorsqu'il fut chargé de diriger avec les moyens du bord le centre d'accueil aux réfugiés belges à la gare de la Rochelle."
Car en 1939 Simenon se trouve à La Rochelle, qui fut sa ville d'adoption, et qui figure en bonne place dans trente-quatre de ses romans et nouvelles.
En 1939, c'est donc à La Rochelle qu'il apprend par la voix de la TSF la déclaration de guerre.
Chargé comme je viens de le mentionner de diriger le centre d'accueil des réfugiés belges, "La débâcle provoqua, de son propre aveu, une sorte de soulagement en lui. Comme s'il se trouvait débarrassé d'une vie qui lui pesait, qui n'avait plus de goût. La dure réalité des événements lui faisait prendre conscience de ses propres réalités."
Dans son roman, il y a donc un peu de lui dans ce Marcel Féron, marchand et réparateurs d'appareils radio, marié à Jeanne, une jeune femme issue d'une famille de petits bourgeois d'origine flamande, qui lui a donné une fille Sophie âgée de quatre ans, et enceinte de sept mois et demi lorsque les Allemands déclenchent, après presque une année de ce qui fut appelée la drôle de guerre, l'offensive qui allait balayer en quelques semaines la résistance impréparée de la France et de l'Angleterre, et donner une victoire éclair à Hitler.
Marcel a alors trente-deux ans.
Il est réformé à cause d'une myopie sévère.
Son obsession d'être séparée de ses lunettes fait qu'il a toujours à sa portée, dans sa veste ou son pantalon, une paire de secours.
Marcel est un garçon terne, le fils d'une mère rentrée nue et tondue un jour à la maison après l'armistice de 1918... une mère dont il est séparé à l'âge de onze ans.
Son père, fondé de pouvoir, rentre de la guerre alcoolique et trahi par une femme dont le comportement et la fuite vont renforcer son addiction.
À quatorze ans, Marcel tombe malade.
Il intègre un sanatorium dont il ne sortira guéri qu'à l'âge de dix-huit ans.
Ses quatre ans d'enfermement vont le marquer à jamais.
Lorsqu'il rencontre Jeanne, l'épouse, devient père, il a atteint ce qu'il croit être ce que la vie pouvait lui offrir de mieux.
Mais la guerre réveille en lui ce qu'il qualifie de l'appel du destin.
Le tragique lui rend, pour un temps, l'acuité qu'il avait perdue... un peu comme ses yeux de taupe auxquels ses lunettes permettent de voir ce que ses yeux ne devinaient qu'à travers des bourrelets de brume.
C'est alors la décision de l'exode.
Sa femme et sa fille montent à bord d'un wagon de voyageurs... lui doit se contenter d'une place dans un wagon à bétail.
Le convoi s'ébranle.
Au bout de quelques heures, le train est scindé en deux.
Marcel est séparé des siens.
Il n'éprouve rien d'autre qu'une liberté toute neuve, une liberté redonnée comme en cadeau... un cadeau à l'enfant qui en a été privé.
Marcel redécouvre la vie.
Dans son wagon, il y a une jeune femme, Anna Kupfer, une expatriée tchèque... une Tchèque juive...
Marcel et Anna vont vivre une passion amoureuse, qui va les conduire des Ardennes jusqu'à La Rochelle, et à La Rochelle dans un centre d'accueil.
Jusqu'au jour où, après des recherches sans précipitation, sans inquiétude, Marcel va retrouver sa femme qui lui a donné un fils.
Les adieux après la capitulation.
Le retour au pays.
Des années s'écoulent.
Marcel, à présent patron prospère, père de trois enfants, a tenu un cahier sur lequel il a raconté cette histoire... comme un legs à ses enfants pour leur prouver que derrière l'image de ce père morne, sans histoire, cet être embourgeoisé sans réelle envergure, se cachait un homme qui avait vécu...
Si le roman de Simenon a été très librement adapté par Granier-Deferre au cinéma en 1973... avec l'éblouissante distribution qu'on lui connaît : Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Régine, Maurice Biraud et beaucoup d'autres très bons acteurs, si ledit film "élève" ses personnages, et surtout Jean-Louis Trintignant alias Julien Maroyeur alias Marcel Féron, le roman offre une approche moins flamboyante, moins lyrique, moins romantique... mais plus réaliste, plus terre à terre, plus authentique, et surtout moins héroïque... voire glaçante pour ce qui est de Marcel renvoyé à la lâcheté, à l'égoïsme et à la trahison d'un homme n'hésitant pas à sacrifier l'amour au bien-être quiet du conformisme, du renoncement... aux lunettes embuées mais rassurantes, simplement parce qu'elles sont là...
Mission remplie pour le romancier Simenon qui, en moins de 160 pages nous fait vivre certains des aspects de l'exode de 1940, ce que celui-ci put générer de parfois extraordinaire et inattendu chez des individus rendus inexistants par la banalité du décor de leur quotidien. Il nous fait traverser la France d'est en ouest.
Nous fait respirer le printemps chaud des Ardennes et les embruns de la Rochelle.
Nous raconte une déroutante histoire d'amour, allégorie de la vie des anonymes plongés brusquement dans la tragédie, convoqués par L Histoire... chacun y répondant à partir de cet étrange mélange qui fait de nous ce que nous avons toujours été en voulant ou ne voulant pas l'être.
Du bon Simenon, de celui qui disait évoquant son oeuvre et son rapport à celle-ci : « Des idées, je n'en ai jamais eu. Je me suis intéressé aux hommes, à l'homme de la rue surtout, j'ai essayé de le comprendre d'une façon fraternelle… Qu'ai-je construit ? Au fond, cela ne me regarde pas. »
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10 mai 1940. Fumay (Ardennes françaises).
Depuis septembre 1939, la France est officiellement en guerre avec l'Allemagne de l'horrible petit moustachu tout excité… Mais il ne se passe rien. Subitement, le 10 mai 1940, ceux qui ont une radio apprennent l'invasion des Pays-Bas par les boches. Peu après arrive à Fumay un train bourré de réfugiés belges qui vise à descendre vers le sud. Fumay, petite ville à deux pas de la frontière belge est donc bien exposée. Ceux qui ont une voiture ne tardent pas à déguerpir.
Marcel Féron répare et vend des radios. Il vit confortablement. Il est marié, papa d'une petite fille et son épouse est enceinte et ne devrait pas tarder à accoucher. Marcel n'a pas de voiture ! Que faire ? Rester ? Partir ? Comment ? le train ! Seul espoir vu l'état de sa femme, avec une petite fille, la marche ne s'avère pas être une solution.
Arrivé à la gare, son épouse et la petite ont droit à un voyage en première classe… Les hommes « bénéficieront » des wagons à bestiaux ! Marcel est séparé de sa petite famille. Au cours de son périple, une jeune femme pleine de mystère vient s'insinuer dans son wagon. Elle est descendue d'un train belge en provenance de Namur. Elle était en prison et a été libérée suite à l'avance des Allemands en Belgique. Elle se glisse dans le wagon de Marcel. Il la repère et est intrigué. Elle semble l'avoir remarqué également…

Critique :
Maigret, cela vous parle ? Oubliez-le ! Ici, point d'intrigue policière, et si morts il y a, la faute en incombe à la Luftwaffe qui n'hésite pas à mitrailler des trains bourrés de réfugiés. Ah ? Quel intérêt y a-t-il à lire ce bouquin, alors ? D'abord, on peut le voir comme un récit de guerre… Point de combat aux envolées lyriques ! Juste les changements qui s'opèrent dans l'esprit des réfugiés au fur et à mesure que les journées passent et que leur vie change provoquant des transformations qui ne se seraient probablement jamais produites si la paix avait poursuivi son petit bonhomme de chemin. Marcel va connaître l'Amour ! le GRAND AMOUR ! Avec ? Eh bien… C'est dans le bouquin… Tout comme sa lâcheté ordinaire… Ou son sens du devoir… Allez savoir !
C'est Marcel qui nous raconte ce récit. Son histoire personnelle ! Dans des cahiers qu'il place sous clé et qui sont destinés à son fils… Un jour… Pour qu'il sache que son père, devenu un petit bourgeois prospère et tranquille, a connu une passion dans sa vie…
N'ayant lu de Simenon que des enquêtes policières, il était temps que je découvre une autre facette de ce brillant auteur. Simenon, c'est l'écrivain qui décrit probablement le mieux les petites gens ordinaires de son époque. Ordinaires mais pas sans intérêt dès lors que Georges S. s'en empare.
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Marcel est un homme ordinaire qui mène une vie simple, mais confortable avec sa femme Jeanne et sa fille Sophie. Tout change quand les Allemands arrivent en Belgique. « Cette guerre qui éclatait soudain après un an de faux apaisement, c'était une affaire personnelle entre le destin et moi. » (p. 15) La famille quitte Fumay, dans la Meuse, pour le sud de la France. Dans le train qui les emmène, Marcel est séparé de son épouse et de sa fille. Il rencontre Anna, une étrangère au comportement étrange. « Elle ne vivait pas avec les autres. Elle ne participait pas. Elle restait seule parmi les autres. » (p. 94) Sans le préméditer, Marcel entame une liaison avec Anna : les deux réfugiés ne se quittent plus, ne se cachent même pas et vivent leur passion comme ils prendraient des goulées d'air pour échapper à la noyade. « Une cassure s'était produite. Cela ne signifiait pas que le passé n'existait plus, encore moins que je reniais ma famille et cessais de l'aimer. Simplement, pour un temps indéterminé, je vivais sur un autre plan, où les valeurs n'avaient plus rien de commun avec celles de mon ancienne existence. » (p. 112) Hélas, le couple le sait bien, leur liaison ne pourra pas durer.

La narration est menée par Marcel qui raconte cette histoire a posteriori et son récit sonne un peu comme une déposition. La fin du roman révèle à qui Marcel adresse son texte. J'ai beaucoup aimé ce roman dans lequel Simenon saisit un personnage et un instant historique pour en faire une peinture honnête, sans fard ni fausse pudeur. Il parle de désir et de plaisir au milieu du désordre. « Je n'y pensais jamais, non seulement parce que je refusais d'y penser, mais parce que cela ne me venait pas à l'esprit : notre vie à deux n'avait pas de futur. » (p. 148) La vie normale a pris un train pour nulle part et les personnages, brusquement débarqués, errent dans une immense salle des pas perdus. Sauf Marcel et Anna qui font de cette pause forcée une parenthèse lumineuse.

Je vais continuer à lire Georges Simenon dont j'avais également beaucoup aimé La veuve Couderc.
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Simenon évoque la Seconde Guerre Mondiale dans deux romans : 'le Clan des Ostendais et 'Le train'. Simenon y transpose son expérience de la guerre. En 1939, il se trouve à La Rochelle. Il y organise l'accueil des réfugiés belges. Il est nommé haut commissaire aux réfugiés belges pour le département de Charente-Inférieure.On retrouve certains éléments factuels et même certains personnages historiques : l'infirmière, Mme Blanche, le maire M. Vieljeux.

Commentaire :
Bien qu'il ait connu une prime enfance troublée (disparition de sa mère, père alcoolique), Marcel Féron a une vie banale et ordonnée. Ses quatre années au sanatorium se sont déroulées sous un rythme précis. Il s'est ensuite installé à Fumay, a trouvé une femme, sera père pour la deuxième fois. Une vie placée sous le signe de la quiétude et qui a un goût de bonheur. Une vie normale, comme une autre, quasi inespérée. Mais il pressent l'arrivée d'une crise, il sait que tout va s'arrêter.

Quand il apprend le déclenchement de la guerre, il déclare simplement : « cela devait arriver. » Il considère la guerre comme une affaire personnelle entre le destin et lui.

Vient l'exode, la famille part en train. Nul n'est plus responsable de ses actes. L'individu s'efface dans le groupe, les réfugiés sont baladés au gré des évènements, des obligations du rail, des décisions administratives. Les règles sociales s'estompent : on s'accouple, on fait ses besoins, on se lave au milieu des autres, dans la meute.

Dans la cohue, les wagons sont séparés, Marcel Féron perd la trace de sa femme et de sa fille. Certes, il les aime, mais dans cette ‘évasion' elles ne comptent plus.

Marcel Féron vivra avec Anna un bonheur simple, un bonheur vrai. Comme un enfant, il se réjouit du spectacle des choses les plus ordinaires. La liaison est charnelle, fusionnelle. Ils se comprennent et se devinent sans se parler. Il est naturel d'être ensemble. La guerre est omniprésente ; pourtant, ils vivent dans l'intemporalité. Relation neuve, sans histoire et qui n'a aucun avenir. Tout est dans le présent. On se surprend à vivre.

Marcel Féron découvre une vérité nouvelle et provisoire. Il retrouve la trace de sa famille et la rejoint facilement. La rupture avec Anna est rapide, un simple adieu et déjà son souvenir est effacé.

Marcel reprend sa vie d'avant, la seule possible à ses yeux. Une vie à Fumay, une vie réglée, une vie de travail. Aussi quand il rencontre Anna la seconde fois, c'est un nouvel appel vers l'aventure, il a la possibilité de casser à nouveau sa routine. Il refuse et poursuit son chemin. Quand il déclare qu'il ne retournera jamais à La Rochelle, nous pouvons comprendre qu'il refusera toute autre passade.

S'il fait le récit de cette histoire, c'est pour que son fils sache qu'il a été capable d'une passion. Il conclut son récit par cette phrase : « J'ai une femme, trois enfants, une maison de commerce rue du Château. »

Le Train' est un roman type de Georges Simenon. Ecriture simple, précise et efficace. le récit retranscrit parfaitement l'atmosphère de l'exode. Tout est dans le ressenti et la psychologie du héros narrateur. Trame maîtrisée qui ressemble à celle de ‘la Fuite de Monsieur Monde'. Une routine. Une fuite (l'aventure), le retour.
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Marcel Féron est un homme simple : marié, père d'une fillette,, il a sa boutique, travaille honnêtement pour gagner sa vie et rien de trouble sa vie si paisible et dans le fond si banale : "J'étais cependant devenu un homme heureux, qu'on se mette bien ça dans la tête. J'aimais ma femme. J'aimais ma fille. J'aimais ma maison, mes habitudes et jusqu'à ma rue qui, tranquille, ensoleillée, aboutissait à la Meuse.".
Mais voilà, c'est la guerre, la peur de l'envahisseur allemand jette les foules sur les routes et dans les trains et c'est le chemin qu'emprunte Marcel avec sa femme enceinte et sa fille : "Je n'étais plus Marcel Féron, marchand d'appareils de radio dans un quartier presque neuf de Fumay, non loin de la Meuse, mais un homme parmi des millions que des forces supérieures allaient ballotter à leur gré.".

A travers ce roman, il est intéressant de voir à quel point la guerre, ou tout du moins l'exode qui en résulte, peut être un catalyseur d'émotions.
Séparé de sa femme et de sa fille, Marcel repère dans son wagon une femme qui se démarque de toutes les autres, Anna Kupfer : "Elle ne vivait pas avec les autres. Elle ne participait pas. Elle restait seule parmi les autres."
Elle l'attire, il l'attire, ce qui doit se passer arrive et à aucun moment l'un comme l'autre ne va se poser de questions.
Ils vivent le moment présent sans savoir de quoi demain sera fait, Marcel a un comportement différent de ce qui le caractérise d'ordinaire et il vit sa passion, découvre le plaisir de la chair en osant faire des choses dans des endroits auxquels il n'aurait pas songé en d'autres circonstances, j'irai même jusqu'à dire qu'il vit dans le réel une forme de fantasme.
Entre Anna et Marcel, ce n'est pas une histoire d'amour classique : "L'idée de parler d'amour ne nous effleurait pas et je me demande aujourd'hui si c'était réellement de l'amour. Je veux dire de l'amour dans le sens qu'on donne généralement à ce mot car, à mes yeux, c'était beaucoup plus.", et c'est justement cela qui en fait toute sa beauté.
Ca et le fait que l'un comme l'autre sont lucides, cette parenthèse enchantée va finir par se refermer et chacun retournera vivre sa petite vie, chacun de son côté : "Je n'y pensais jamais, non seulement parce que je refusais d'y penser, mais parce que cela ne me venait pas à l'esprit : notre vie à deux n'avait pas de futur. Ce qui arriverait, je l'ignorais. Personne ne pouvait le prévoir. Nous vivions un entracte, hors de l'espace, et je dévorais ces journées et ces nuits avec gourmandise.".
Je trouve intéressant le traitement de cette histoire car la guerre, et plus particulièrement celle de 1939-1945, est souvent l'élément déclencheur d'une rencontre improbable entre deux êtres qui finissent par s'aimer, d'une certaine façon, et qui dans tous les cas perdent leurs inhibitions et vivent une sexualité plus épanouie.
Le traitement que fait Georges Simenon de ses personnages est finement construit, l'histoire étant narrée du point de vue exclusif de Marcel qui s'adresse à une personne dont l'identité est dévoilée à la fin.
Le personnage d'Anna n'apparaît aux yeux du lecteur que comme Marcel le perçoit.
Il n'en reste pas moins que c'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai suivi l'évolution de cette histoire entre un homme et une femme qui commence dans un train brinquebalé dans une France qui ne sait plus trop où elle va.
De Georges Simenon, je connaissais de nom les Maigret mais je n'avais pas encore eu l'occasion de lire un livre de lui.
Je suis contente d'avoir commencé ma découverte de cet auteur avec ce roman, j'ai pu apprécier son style à la fois fluide et maîtrisé qui dévide petit à petit une histoire riche en rebondissement jusqu'à la dernière phrase.
Au-delà de l'histoire et du contexte, j'ai énormément apprécié le travail de l'auteur sur son personnage principal et également narrateur.
Il se dégage de l'écriture de Georges Simenon une atmosphère qui scotche sur place. C'est bien simple, j'ai lu ce livre d'une seule traite tant j'étais prise par le déroulement et l'enchaînement des événements.

"Le train" est un très beau roman de Georges Simenon qui traite de l'Exode de 1940 sous un angle différent de celui habituellement pratiqué, une histoire qui captive du début à la fin.
Désormais, il ne me reste plus qu'à voir l'adaptation cinématographique qu'en a fait Pierre Granier-Deferre avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle masculin principal et Romy Schneider dans celui d'Anna.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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En 1940, l'avancée allemande en France effraye les habitants de l'Est. Dans le petit village de Marcel Féron, modeste réparateur de radio, on n'échappe pas à cette peur généralisée et on s'entasse dans des trains pour rejoindre une zone loin des combats. Mais Marcel est aussitôt séparé de sa femme enceinte et de sa fille, à qui sont réservés les trains de voyageurs tandis que les hommes sont parqués dans des wagons à bestiaux. Coupé de ses racines et de sa femme, il fait l'expérience de la liberté, comme si c'était quelque chose qu'il attendait : "C'était l'heure de la rencontre avec le destin, l'heure d'un rendez-vous que j'avais depuis longtemps, depuis toujours avec le destin." Et ce destin semble prendre le visage d'une femme puisque c'est alors qu'il rencontre Anna Kupfer, une jeune femme mystérieuse avec qui il a une aventure.

Près de 20 ans après, il ressent le besoin de raconter cette aventure pour que ses enfants le voient différemment et comprennent que sa vie, si confortable et terne qu'elle soit, est une vie choisie et assumée.

Quel étrange roman ! C'était mon premier Simenon (lu pour le Club des Lectrices), et j'avoue que j'ai été un peu déconcertée car je m'attendais à un roman policier … or j'ai eu beau attendre, je ne voyais pas l'intrigue pointer. M'étant renseignée, c'est comme ça que j'ai appris que Simenon n'a pas écrit que des romans policiers, même si ces derniers éclipsent le reste de son oeuvre aux yeux du grand public. Et c'est bien dommage car si j'en juge de la qualité de ce roman-ci, il y a sûrement de belles perles à découvrir ! (on a le choix : il a publié près de 200 romans sous son nom et presque autant sous des pseudonymes divers et variés !).

Ce roman est l'histoire de quelques semaines dans la vie d'un homme, qui le change à jamais et le révèle à lui-même.
« Une cassure s'était produite. Cela ne signifiait pas que le passé n'existait plus, encore moins que je reniais ma famille et cessais de l'aimer. Simplement, pour un temps indéterminé, je vivais sur un autre plan, où les valeurs n'avaient plus rien de commun avec celles de mon ancienne existence. »

Ce voyage est en effet pour lui une révélation : il lui permet de rompre avec son quotidien et de se questionner sur son passé et son futur. Que veut-il ? comment voit-il sa vie ? que ressent-il pour sa femme et sa fille ? il pressent aussi que cette faille qu'il découvre est liée au traumatisme qu'il a vécu enfant en voyant sa mère, en 1918, revenir à la maison sous les crachats, les cheveux rasés, et s'en aller sans un mot. de la même manière, cette fuite en avant dans le train lui permet d'échapper à sa famille, sauf qu'il fera le choix inverse de celui de sa mère.

Et puis il y a Anna. Qui lui montre qu'il est capable de passion, qu'il est possible d'être un autre homme. Sans la fin la concernant, sur les dernières lignes, et le dernier événement du roman, ce texte m'aurait peut-être paru un peu fade. Mais la dernière page relève le tout et en fait un très bon roman psychologique et historique, que je vous conseille chaudement.

NB : le Train a été adapté par Pierre Granier-Deferre en 1972 avec Romy Schneider et Jean-Louis Trintignant.
Lien : http://missbouquinaix.wordpr..
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Fumay dans les Ardennes, à deux pas de la frontière belge. 10 mai 1940. L'Allemagne attaque.

Une période étrange s'ouvre à l'égale de « la drôle de guerre » qui précède. L'Exode s'amorce sous la poussée du Blitzkrieg. le temps semble suspendu, incertain du lendemain, dans l'attente d'un avenir proche qui ne dévoile rien de ce qu'il sera. Tout est possible, surtout le pire. Chacun vit désormais au jour le jour, au rythme de la fuite en avant. Des millions d'existences semblent désormais entre parenthèses, dans l'espoir fataliste d'une inévitable reddition et d'un hypothétique retour à domicile.

Civils jetés sur les routes. Automobiles abandonnées. Carrioles surchargées de bric-à-brac dérisoire. Trains pris d'assaut. Troupes militaires à la ramasse.

Une France en perdition … tout du long d'un été … le plus beau depuis si longtemps.

Un jeune couple, les Féron, va traverser la France d'est en ouest. Wagon à bestiaux pour lui, wagon deuxième classe pour elle et leur fille en bas âge. Madame attend un heureux événement et se doit d'être protégée. Les quais de gare se succèdent, les appels sous verrières listent les avis de recherche de personnes perdus dans la nature, l'attente est longue sur les voies de garage, le trajet se fait buissonnier car le convoi n'est pas prioritaire, l'aide humanitaire en bordure de quais mobilise les bons vouloirs. Les avions en piqué mitraillent dans l'axe des convois, la mort venue du ciel distribue ses tickets perdants.

Peu à peu un microcosme se crée à l'échelle du wagon à bestiaux. La cohabitation forcée casse les anciennes règles, de nouvelles s'imposent, de celle du plus fort à celle du plus malin, de l'incompréhension jalouse à l'entraide calculée ou sincère, de la haine … à l'amour. Une galerie de portraits d'époque émerge tout le long du voyage, de la paysanne discrète et partageuse à la bistrotière bien en chair peu avare de ses charmes. Simenon va nous faire revivre, dans ses détails quotidiens, cette courte période historique teintée d'incertitudes. On va y retrouver la France des années 40's sur le fil rouge d'un hexagone traversé de part en part, entre campagne omniprésente et villes perçues depuis les quais.

La première nuit, le train, au gré de manoeuvres ferroviaires malheureuses, est coupé en deux. Monsieur, désormais seul, va ressentir, quelques semaines durant, un étrange sentiment de liberté retrouvée … et faire la connaissance d'Anna, une belle taiseuse à l'accent venu de l'est. Qui est t'elle ? Que cache t'elle ? Une histoire d'amour s'amorce, sauf que … Cela ne pourrait être que de l'eau de rose si Simenon n'avait, du thème, fait au final bien autre chose, de bien plus noir, venue des sombres tréfonds de l'âme humaine.

Marcel Féron. Un homme de son temps : réparateur radio, ondes longues ondes courtes, le monde désormais à portée d'oreille. Un être ordinaire, honnête et de confiance, pragmatique, travailleur et s'astreignant à le rester, taillé dans la norme prolétaire de l'époque. Un mariage et des enfants en passages obligés. Un mari sans faille apparente si ce n'est celle, sans obsession, d'une épouse pour qui il ressent bizarrement plus de reconnaissance que d'amour, encore est-ce assez indéfinissable dans son esprit. Un père conscient de ses responsabilités et devoirs. Une vie de famille simple et heureuse, toute tracée ; un avenir sans gros besoins ni objectifs autres que ceux déjà atteints, sans ambition que celle d'assurer (presque par contrat tacite) le confort aux siens.

En contrepartie de cette vie morne et rassurante, le prix à payer semble le gêner, l'insupporter sans que sa conscience n'en effleure vraiment la présence : routine, monotonie, peut-être même ennui, voire vacuité. Ah s'il n'était pas myope au point de s'être fait reformer. Ah s'il n'avait pas connu les longs mois au sanatorium à côtoyer la mort. Ce qu'il vit désormais, sur les rails de l'Exode, ne lui semble pas plus anormal que ce qu'il a vécu à combattre le bacille de Koch. L'Exode devient le révélateur de ce qui lui manque, de ses rêves effacés, des rendez-vous manqués avec sa propre histoire.

Ainsi, alors, en creux, nait en lui le besoin d'autre chose. D'un amour hors-normes, par exemple. Celui qu'il pressent, justement, ne pas avoir encore vécu. Une passion qui éclabousserait le reste d'une vie d'instants inoubliables. Une carte postale amoureuse à l'image de ce qu'il entrevoit de la Rochelle, une ville loin du front, un port, des bateaux pour un ailleurs lointain, vers des iles paradisiaques au-delà de l'horizon, sur un océan sans limites. Peu importent les risques, peu importent les coups de canifs dans le contrat matrimonial, seul compte l'instant, le feu d'artifices qui embrase tout et qui bientôt s'éteindra.

Un personnage à la Simenon, en somme. Un être jusqu'alors bien à l'aise dans une vie sans écueil d'importance, qui à défaut d'être rêvée le rassure. Un « homme nu » qui bascule dans un univers parallèle quand, confronté à l'hors-norme d'une situation inattendue il se doit de trancher. Bientôt disséqué jusqu'à los, il se montre enfin sous le vrai jour qui est le sien.

Anna : le point d'interrogation du roman, celle qui ne se dévoile que peu, dont le mystère fait l'attrait. Femme fatale ? Non.. ! Simplement autre, différente, indéfinissable, tissée de regards plus que de mots. Elle est celle qui attire, que les autres vous jalousent. Prisonnière de son passé, venue d'un ailleurs obscur où le silence est d'or et la discrétion un espace nécessaire entre la vie et la mort, elle redoute de casser ses silences qui la démasqueraient. Simenon ne la décrit que peu, il laisse le « je narratif » s'en charger ; Marcel Féron est aux commandes de sa confession, il va se trouver de bien faibles fausses raisons.

Le Train c'est aussi un film de Pierre Granier-Deferre (1973) avec dans les rôles principaux : Jean-Louis Trintignant, Romy Schneider, Régine et Maurice Biraud. Qui mieux que Romy Schneider dans le rôle d'Anna ? Elle transcende son rôle, le magnifie. Sa beauté émerveille, son sens inné du jeu d'acteur fait mouche, sobre et efficace, vrai et émouvant. Son regard touche au coeur, il dit les mots que sa bouche ne prononce pas. L'Anna du roman semble ne pas avoir de visage si ce n'est celui que le lecteur veut bien y mettre, l'Anna en long-métrage porte celui de Schneider ; un remake éventuel s'y cassera les dents. D'autant que l'on sait, maintenant, que ce qu'il lui restait à vivre ne le serait pas sous le sceau du bonheur ; et çà c'est Anna, ses plaies et ses mystères cachés. Trintignant, à demi-mots susurrés et hésitants, tranquilles et sereins, traduit l'ambiguïté de Féron/Maroyeur face à une situation en équilibre incertain.

L'épilogue du long métrage diffère diamétralement de celui du roman. Les ressentis divergent en conséquence. le spectateur entrevoit un romantisme exacerbé teinté de fatalisme poignant ; sortez les mouchoirs. le lecteur s'indigne d'une lâcheté tranquillement à l'oeuvre, presque sans remords. L'écrivain, une nouvelle fois, plombe le genre humain dans la lignée sombre qu'il donne à ses « romans durs ». L'empathie pour Trintignant, sur le fil de sa décision finale, impose le kleenex au bord de l'oeil, mais rassure sur le genre humain ; le dégoût l'emporte concernant celle prise par l'homme-papier. Granier-Deferre à au moins le mérite du panache, de la tête levée face à l'adversité. Au final, si dans le roman Marcel se nomme Féron et Maroyeur dans le film, ce n'est pas plus mal : ce sont au final deux hommes si fondamentalement différents, mus par des pulsions à l'opposé l'une de l'autre, qu'ils ne peuvent décemment porter le même nom de famille.

Au final, le roman m'est resté dans l'ombre du film. Qu'aurait été mon ressenti sans Granier-Deferre ? Nul doute que la prose et la manière de Simenon, auraient, à elles seules, emporté le morceau. Mais, en réfléchissant plus avant, la dérobade finale du héros-roman ne masque t'elle pas sa principale raison de vivre, celle de préserver sa famille, quitte à sacrifier le grand Amour de sa vie ? N'en est t'il pas un tantinet réhabilité ? Roman complexe que celui-ci, soumis à des ressentis variables en fonction des paramètres internes de chaque lecteur. J'en suis sorti en mode dubitatif « ON » concernant la noblesse d'âme du héros. Mais bon, çà se discute.
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Tristesse de "l'homme nu" qu'aime peindre Simenon. Tristesse d'une lâcheté ordinaire par temps de guerre (et que les commémorations d'armistices ni les livres d'histoire ne montrent), tristesse d'un homme qui a "une femme, trois enfants, une maison de commerce rue du Château" (c'est la dernière phrase du livre...)
Mais beauté de la narration, du style, des paysages et des êtres si vivants, si présents devant nous. Simenon, le grand sensuel, parle de la lumière et des odeurs comme personne : sur 156 pages j'ai relevé plus d'une quarantaine de passages qui traitent de la lumière et des odeurs....Et quand le narrateur dit (page 109) : " J'ai pris tout de suite possession du paysage qui m'est entré dans la peau.", comment ne pas comprendre que Simenon est là, tout entier, derrière cette sensation....
Un livre de Simenon est toujours un beau voyage. A l'extérieur bien sûr, mais surtout à l'intérieur des êtres......
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Roman étonnant , différent ( dans le sujet mais pas dans l'écriture) , poignant que celui ci....A l'époque , le terme n'existait pas mais on pourrait le classer comme un road trip.....sauf que là , c'est de train dont il est question et pource qu'il en est du contexte...Celui de la débâcle de 1940 et de la fuite des habitants du nord de la France ( et de la Belgique) vers un ailleurs, le plus éloigné possible des troupes allemandes qui semblent arriver....Le personnage est touchant dans son apparente simplicité, l'intrigue amoureuse est subtile...et j'ai apprécié quelques pages décrivant le basculement de la vie d'un pays libre vers l'état occupé;..Ces indécisions des gens ( gendarmes) ,perdus dans ce nouvel environnement....,cette vie qui continue pour autant ....merci à Simenon pour cette belle narration.
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