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Critique de Woland


Woland
21 septembre 2014
ISBN : 978-2258073401

L'une des réussites de Simenon : un véritable tour de passe-passe criminel où, contrairement à ce qu'il se passe sur les scènes où s'exhibent les prestidigitateurs, le mécanisme du numéro est impeccablement démonté et expliqué au lecteur qui trépigne à l'idée de savoir enfin la vérité. Car, comme le disait Eustrabirbéonne en d'autres termes, "M. Gallet, Décédé", repose sur la négation de l'une des règles-clefs du roman policier. Inutile de nous appliquer les poucettes : nous ne vous révèlerons pas la nature de cette règle. Tout simplement parce que, du coup, vous perdriez tout intérêt pour l'intrigue en apprenant dès cette fiche le fin mot de l'histoire.

Ce que vous pouvez et devez savoir, c'est que Maigret n'avait pas besoin de l'Affaire Gallet. En effet, le roi d'Espagne s'apprêtait à passer par Paris et, nombre de collègues du commissaire étant soit en vacances, soit déjà pris par d'autres crimes, notre limier au chapeau melon et à la pipe se voit accablé de responsabilités. Mais il n'y a personne pour traiter la mort de ce Joseph Gallet, une mort étrange dont on a du mal à distinguer s'il s'agit d'un assassinat (on a tiré sur la victime à sept mètres de distance) ou d'un suicide (Gallet semble avoir retourné contre lui le couteau qu'il tenait). Songer qu'il puisse s'agir des deux est évidemment encore plus absurde, nul ne nous contredira sur ce point ...

Comme à son habitude - et un peu à celle de l'Inspecteur Columbo, bien plus tard et en d'autres paysages - Maigret pense d'abord à la victime et comme elle aurait pu penser. Au début, ce M. Gallet, qu'affligeaient une femme dédaigneuse, un fils unique et revêche, une belle-famille méprisante et enfin une maladie hépatique le contraignant au régime, ne l'inspire guère. Son entourage, déjà énuméré, ne fait pas mieux : les membres en sont trop petit-bourgeois, trop raidis dans leurs a prioris et aussi dans leurs faux-semblants. Un à un, le commissaire débusque les mensonges de Gallet mais aussi ceux dont on l'a gavé. Ainsi, pendant dix-huit ans, M. Gallet s'est évertué à faire croire à toute sa famille qu'il continuait à travailler pour Niel, une maison ayant depuis belle lurette pignon sur rue et vendant argenteries diverses et autres brimborions du même type. En réalité, il s'était fait une petite spécialité de "taper" les aristocrates légitimistes de province afin que ceux-ci participassent financièrement à tel ou tel projet en faveur de l'un des leurs tombés dans le besoin, voire d'une restauration des Bourbons sur le trône.

Thomas Gallet, lui - je ne sais pas si vous avez remarqué avec notre actualité du XXIème siècle, mais le prénom "Thomas" recouvre souvent des imposteurs qui oublient de déclarer leurs impôts, font des séries-rap vantant le sexe, la drogue et l'alcool ou encore se créent des ardoises énormes dans les casinos ou en achetant des appartements à Paris tandis que Papa s'évertue à payer tout ça et à faire disparaître les raisons de poursuites pénales - Thomas Gallet, donc, déjà gagné semble-t-il, au tout début des années trente, par la malédiction qui semble poursuivre le prénom reçu à son baptême , a trouvé un emploi dans une grande banque parisienne où son tempérament froid et bilieux fait merveille. Mais, avec la complicité de sa maîtresse, Eléonore Boursang, une blonde assez bien roulée, un peu plus âgée que lui et épouvantablement calculatrice, il fait en parallèle chanter son père dont il a découvert le secret. Chaque mois, le pauvre défunt se défaisait ainsi d'une somme bien confortable, au bénéfice un certain "M. Jacob", qu'il ne connaissait que par la voie épistolaire et qui n'était autre que son fils unique, aiguillonné par Eléonore à l'arrière-plan.

Ca, ce n'est rien que pour la famille. ;o)

Passons maintenant au lieu où Gallet a trouvé la mort. Une petite auberge paisible, où il avait bien demandé qu'on lui réserve une chambre "donnant sur la cour" et où il descendait, depuis des lustres, sous le nom de "M. Laurent." L'aubergiste et son personnel ne comprennent rien à ce décès étrange qui risque surtout de compromettre la renommée de l'établissement. Non plus que Tiburce de Saint-Hilaire, le châtelain du coin et voisin immédiat de l'auberge. Certes, il finit par confesser à que les activités "légitimistes" de Gallet avait amené ce dernier bien souvent en son manoir mais pour le reste, il n'en sait pas plus que les autres. Il ne savait même pas que "M. Laurent" s'appelait en réalité "Gallet."

Et là, nous arrêtons parce que, en conscience, nous ne pouvons pas aller plus loin. C'est tordu et pourtant des plus rectilignes, bourré d'ornières en tous genres mais guidé par une volonté solidement déterminée, à la fois très complexe et ... très simple. Si simple que, que ce soit aux yeux de Maigret ou à ceux du lecteur, fût-il chevronné, la vérité tarde à se faire voir. Peut-être aussi parce que notre esprit cartésien ne peut qu'être pris en défaut.

Une chose demeure cependant : "M. Gallet, Décédé" est l'un des meilleurs opus de Simenon. Et c'est aussi l'un des "Maigret" où l'analyse psychologique poussée reprend tous ses droits. Il y a, dans ce livre, malgré le cadavre, les coups de revolver, les promenades nocturnes et les bassesses des uns et des autres, plus de cogitation que d'action. Pour la petite histoire, sachez également que c'est ici qu'apparaît pour la première fois Moërs, le spécialiste de la Technique Judiciaire que l'on retrouvera fréquemment au gré des enquêtes de Maigret.

Voilà, vous savez tout - ou presque. Si vous voulez le morceau final du puzzle, lisez "M. Gallet, Décédé." ;o)
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