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Critique de Woland


Woland
27 décembre 2014
Le "Maigret" du jour nous transporte à Montmartre, au "Picratt's", un bar de nuit où la belle et jeune Arlette se produit dans un numéro époustouflant d'effeuillage avant d'aller boire avec les clients. Pour ses collègues, Tania (qui fait les danses russes et tient le piano) et Betty (effeuillage et danse semi-acrobatique), et aussi pour la patronne (une ancienne demi-mondaine qui fut l'une des plus belles femmes de Paris), Rose, ainsi que pour Fred Alfonsi (son très légitime époux, de vingt ans son cadet mais qui l'aime, malgré tout, à sa façon), il a toujours été clair qu'Arlette n'appartenait pas tout à fait à leur monde. Ebouriffante, oui, elle l'était. Mais avec rage, mais avec passion : tout le contraire d'une professionnelle. D'où son succès sans doute et la fascination qu'elle exerçait. Rose la voyait bien en jeune fille de bonne famille qui se serait enfuie de chez elle parce qu'elle n'en pouvait plus. de qui ? de quoi ? de tout, probablement.

Arlette avait des clients, avec qui elle couchait à l'occasion dans les hôtels du coin, et, depuis peu, un amoureux qui venait lui offrir une bouteille et restait des heures à lui tenir la main et à lui proposer de l'épouser, de la faire changer de vie. Un petit jeune, pas mal et visiblement gentil. Et le plus étonnant, c'est qu'Arlette commençait vraiment à y réfléchir.

Cet amoureux, avec qui elle n'a jamais couché, Arlette le croise une dernière fois, en ce matin où, après avoir fait une déposition au commissariat de son quartier pour prévenir qu'un crime était projeté à l'encontre d'une certaine comtesse et que le présumé coupable s'appelait "Oscar", elle s'est vue redirigée vers le Quai des Orfèvres, dans le bureau de Lucas sur lequel ouvre la porte de celui des inspecteurs. Eh ! oui, l'amoureux d'Arlette, c'était "le petit Lapointe" comme l'appelle Maigret.

Après avoir rétracté toutes ses accusations et les avoir imputées à une soirée trop arrosée, Arlette rentre chez elle. Et c'est chez elle, dans son petit appartement si bien rangé et qui n'a vraiment rien de celui d'une entraîneuse, encore moins d'une effeuilleuse, mais plutôt tout d'une bonne petite ménagère, qu'on la retrouve morte, étranglée. A croire que ce qu'elle avait raconté, puis nié avec tant de vigueur, reposait bel et bien sur la vérité.

Dès le début, nous savons tous que le dénommé "Oscar" est l'assassin. Comme il est celui de la comtesse von Farnheim, une héroïnomane que l'on retrouve également étranglée dans son propre appartement. Et comme il est susceptible de devenir celui de tous ceux, femmes et hommes, qu'il suspecterait de vouloir le trahir. Mais le roman s'attache surtout à nous dépeindre cet univers si particulier des bars de nuit "modérés" - c'est-à-dire ceux qui refusent la drogue et "marchent" sérieusement - où tout le monde travaille presque en famille. Après tout, c'est un métier comme un autre. Scandaleux, sulfureux, promis à l'Enfer ? Ma foi, si ça vous fait plaisir de penser que Dieu n'a aucune indulgence pour les brebis égarées ... Simenon, lui, d'évidence, ne pense pas ainsi et sa vision de ce monde si particulier, il nous la fait partager avec subtilité et tendresse, allumant au passage un sourire et un brin de nostalgie dans le coeur de toutes celles et de tous ceux qui, un jour, ont bien connu cet univers, que ce soit du côté personnel ou du côté clients.

Le "Picratt's" est un petit bar et Simenon nous laisse entendre très clairement que c'est presque une famille pour ceux qui y travaillent. On n'y voit la pègre qu'occasionnellement - lorsqu'elle veut s'amuser discrètement - beaucoup de touristes un peu niais mais bien décidés à "faire la fête" et même, en fin de soirée, des Parisiens très huppés venus s'encanailler - c'est du moins ce qu'ils croient. Les couleurs sont douces même si le rouge, un rouge feutré, prédomine. Les personnages éclatent de vérité, avec leurs lassitudes, leurs espoirs envolés et ce cynisme aimable qui leur permet de survivre. Tous, même Tania, qui n'aimait guère Arlette, y vont de leur petit coup de main pour aider Maigret et son équipe. D'accord, ils savent qu'il vaut mieux se faire bien voir de la Police mais on sent bien que les guident une puissance plus forte, un instinct de solidarité qu'ils ne se savaient peut-être pas posséder : Arlette, malgré tout, était des leurs et elle ne méritait pas de finir étranglée à vingt ans. Alors, la tête d'"Oscar", on finira par la servir au commissaire. Doucement, lentement, avec prudence parce que cet "Oscar", ce n'est pas un gars avec qui on rigole volontiers. Mais sûrement.

"Maigret au Picratt's" voit aussi Lapointe abattre son premier malfrat d'une balle en plein coeur - joli tir . Ce qui le pétrifie à la fois d'horreur et de satisfaction. C'est un roman chaud (pas dans le sens où vous pourriez l'interpréter d'après ce que je viens de vous en dire), dense, l'un des plus "authentiques" de son auteur, une petite réussite que l'on a plaisir à lire et à relire. Allez, vous aussi, venez vous asseoir à la table de M. Fred , dans sa cuisine, pour y discuter des à-côtés du métier ou des combines du monde des courses autour d'un verre de fine - ou d'une coupe de champagne : vous verrez comme on y est bien. ;o)
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