La fenêtre des Rouet
La sonnerie triviale d’un réveille-matin éclata derrière la cloison, et Dominique sursauta, comme si c’était elle que cette sonnerie - mais n’allait-on donc pas l’arrêter! - était chargée de réveiller, à trois heures de l’après-midi. Un sentiment de honte. Pourquoi ? Ce bruit vulgaire ne lui rappelait que des souvenirs pénibles, vilains, des maladies, des soins au milieu de la nuit ou au petit jour, mais elle ne dormait pas, elle ne s’était même pas assoupie. Pas une seconde sa main n’avait cessé de tirer l’aiguille; elle était à vrai dire, l’instant d’avant,comme un cheval de cirque qu’on a oublié à l’exercice et qui a continué de tourner, qui tressaille et s’arrête net en entendant la voix d’un intrus.
La fuite de Monsieur Monde :
Il était cinq heures de l'après-midi, à peine un peu plus - une légère flexion de la grande aiguille vers la droite -, quand, le 16 janvier, Mme Monde fit irruption, en même temps qu'un courant d'air glacé, dans la salle commune du commissariat de police.
Elle avait dû sauter d'un taxi, peut-être d'une voiture de maître, traverser comme une ombre le trottoir de la rue La Rochefoucauld, buter sans doute dans l'escalier mal éclairé, et elle avait poussé la porte avec une telle autorité qu'après coup les gens regardaient avec étonnement le panneau gris sale, muni d'un système pour la fermeture automatique, se rabattre avec une lenteur qui par contraste, paraissait ridicule - à tel point, que par habitude, une femme du peuple en châle et sans chapeau, qui attendait depuis plus d'une heure sans s'asseoir, poussa un des gosses accrochés à ses jupes en murmurant :
- Va fermer la porte.
Jusqu'à cette arrivée, on était entre soi. D'un côté de la balustrade, les scribes, en uniformes d'agent de police ou en veston, écrivaient ou se chauffaient les mains au poêle ; de l'autre côté, des gens étaient assis sur un banc le long du mur, d'autres debout ; quand quelqu'un sortait avec un papier tout frais à la main, on avançait d'une place, le premier scribe levait la tête, tous acceptaient la mauvaise odeur, la mauvais éclairage des deux lampes à abat-jour vert, la monotonie de l'attente ou de l'encre à reflets violets dont il fallait recouvrir les formulaires ; et sans doute que, si une catastrophe imprévisible avait isolé pour un certain temps le commissariat du monde entier, ceux qui s'y trouvaient réunis auraient fini par vivre ensemble comme une tribu.