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Critique de boudicca


Dan Simmons est un génie. Je le soupçonnais déjà après avoir enchaîné plusieurs de ses romans fantastiques (« Collines noires », « L'échiquier du mal » et surtout « Drood »), mais le doute n'est désormais plus permis. Il est vrai que le sujet avait de toute façon de quoi me plaire, moi qui suis passionnée par tout ce qui concerne les entreprises d'explorations lancées aux quatre coins du globe tout au long des XIXe et XXe siècles. Parmi la multitude d'histoires passionnantes rapportées par les explorateurs, aucune n'arrive cependant à la cheville de celle du désastre de l'expédition Franklin. Nous sommes en 1845 et deux navires équipés de ce qu'il se fait alors de mieux en terme d'innovations techniques (un moteur à vapeur, un chauffage interne...) quittent l'Angleterre pour se rendre au Pôle nord. Leur mission est simple mais délicate : trouver le célèbre « passage du Grand-Nord », cette route maritime pour l'heure inconnue censée relier les océans Pacifique et Atlantique et sinuant entre les différents territoires de l'Arctique. Aucun des cent vingt-neuf hommes partis à bord du Terror et de l'Erebus ne reviendront. Si le mystère de leur disparition s'est éclaircis au fil des années grâce aux vestiges retrouvés par d'autres explorateurs et aux progrès de la science, on ignore toujours avec certitude comment ont péri les membres de l'expédition. C'est sur ces rares indices récoltés tout au long du XXe siècle par différents chercheurs que se base Dan Simmons qui laisse ensuite le soin à son imagination de combler les pans de l'histoire qu'il nous manque encore.

Pendant près de sept cent pages, l'auteur retrace l'enfer vécu par les hommes de Franklin, pris dans la glace dès l'hiver 1846 au nord de l'île du roi Guillaume. Page après page, le récit nous plonge dans le terrible quotidien des membres de l'expédition et ce avec un tel luxe de détails que l'immersion du lecteur est non seulement immédiate mais aussi d'une intensité difficile à égaler. La faim, causée par un mauvais approvisionnement qui empoisonne les hommes plus qu'il ne les nourrit ; la maladie, qui affaiblit le corps et le moral des troupes ; la peur de cette chose horrible qui rode sur la banquise et menace de les emporter tous ; et surtout le froid, ce froid terrible qui provoque engelures et problèmes pulmonaires à la moindre inattentions (on atteint parfois les -50°C...) : autant de sensations que le lecteur en vient lui-même à éprouver tant les descriptions qu'en fait Dan Simmons vous prennent aux tripes. Il faut dire que l'auteur a effectué un sacré travail de documentation pour que la reconstitution soit la plus réaliste et la plus cohérente possible. Tous les indices patiemment réunis depuis des années sont ainsi réutilisés avec minutie : les dates et les mouvements de l'équipage correspondants ; les tombes des trois marins de Beechey ; le message retrouvé dans le cairn dans lequel les capitaines Crozier et Fitzjames font état de la tragédie en cours ; les traces retrouvées sur des cadavres et suggérant que certains des survivants se seraient livrés au cannibalisme ; la forte exposition au plomb révélée par les prélèvements effectués sur les corps retrouvés...

L'auteur connaît son sujet sur le bout des doigts et les lecteurs qui s'étaient déjà passionnés pour cette histoire seront ravis d'y retrouver tous les éléments qui ont contribué à forger la légende Franklin. L'expédition n'est d'ailleurs pas le seul sujet sur lequel Dan Simmons a du effectuer quantité de recherches, le roman fourmillant de références au mode de vie inuit sur la banquise ainsi qu'aux différentes textures de glace en fonction des sites explorés par l'équipage. le récit aurait d'ailleurs été suffisamment passionnant si l'auteur s'était contenté d'une « simple » reconstitution historique, mais l'ajout d'une touche de fantastique permet de souligner davantage l'aspect dramatique du roman, la tragédie vécue par ces hommes prenant une dimension presque mythique. le véritable tour de force de l'auteur réside pourtant avant tout dans sa capacité à donner vie à des personnages d'une telle humanité et d'une telle profondeur que la connexion qui se créée avec le lecteur est d'une force incroyable. Si le capitaine Crozier occupe en grande majorité le devant de la scène, le récit s'attarde également sur une dizaine d'autres membres de l'équipage que l'on suit dans leur lutte pour survivre à cet enfer blanc qui finira par tous les engloutir. Et c'est là que réside toute la force du roman : on connaît dès le départ le sort qui attend les membres de cette expédition, et pourtant on ne peut s'empêcher de s'y attacher ce qui rend la lecture encore plus poignante. le docteur Goodsir, l'enseigne de vaisseau John Irving, Harry Peglar, le pilote des glaces Blanky, le sage Bridgens.. : autant de personnages qui me hanteront sûrement longtemps et que je me suis résolue à quitter avec énormément d'émotion et de tristesse.

Dan Simmons signe avec « Terreur » un roman passionnant de bout en bout et tellement bouleversant qu'on a bien du mal à revenir sur Terre une fois la dernière page tournée. Un voyage éprouvant mais extraordinaire, que je vous invite tous à entreprendre.
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