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Critique de Charybde2


Cavaliers et prisonniers, matière et mémoire. Chef d'oeuvre.

Publié en 1960, le septième texte de Claude Simon fut celui de la reconnaissance « publique » (avec l'obtention du Prix de l'Express cette année-là). C'est avec lui que sa phrase complexe et sa narration déstructurée sont sans doute entrées dans l'histoire littéraire, pour culminer avec le prix Nobel de 1985.

Il est délicat de rendre compte du « propos » de ce texte, même s'il n'est pas du tout aussi difficile d'abord que ce qu'une certaine critique souvent teintée d'anti-intellectualisme se plaît à répandre, l'étiquette "Nouveau Roman" généralement accolée n'y ayant d'ailleurs pas grande signification, en l'espèce.

Une petite unité de cavalerie en 1940, conduite par de Reixach, un capitaine de vieille noblesse, est prise dans la débâcle. Quatre des cavaliers de l'unité, dont le narrateur et un ex-jockey de l'écurie de course de de Reixach, se retrouvent dans le même camp de prisonniers, où prend place un extraordinaire exercice de remémoration à plusieurs voix, remémoration hachée, incertaine, entrecoupée de digressions lorsque le flot de conscience d'un individu s'immisce subrepticement ou brutalement dans la reconstruction collective, remémoration qui voit se mêler, dans le doute, les erreurs, les confusions et les incertitudes, des bribes du printemps 1940, mais aussi des mois qui ont précédé, dans lesquels tient une place prépondérante un triangle amoureux et sexuel entre le capitaine, suicidé ou abattu – on a du mal à le savoir -, sa jeune épouse et le jockey disgracieux, triangle faisant écho, par delà les siècles écoulés, à une mythique histoire, quasiment fondatrice, au sein de la famille de Reixach, ce lointain passé revenant au hasard des anecdotes, des confidences remontant comme des bulles à la surface, que le récit fragmentaire des quatre prisonniers de guerre exhume peu à peu…

Les phrases magiques, qui peuvent aisément s'étendre sur plusieurs pages, dessinent des arabesques hypnotiques, ancrées dans les bas-flancs du Stalag comme dans ceux des écuries des de Reixach – où le culte des chevaux et de leur débordante animalité prend toute sa place, et construisent une boucle en ruban de Möbius dans lequel le roman lui-même n'est qu'un instant, sans début, sans fin, sans « révélation », démontrant à chaque occasion la difficulté intrinsèque de l'exercice de la mémoire.

Une relecture encore plus passionnante que ma première découverte du texte, il y a presque 30 ans…
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