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Citations sur La Route des Flandres (39)

Et son père parlant toujours, comme pour lui-même, parlant de ce comment s'appelait-il philosophe qui a dit que l'homme ne connaissait que deux moyens de s'approprier ce qui appartient aux autres, la guerre et le commerce, et qu'il choisissait en général tout d'abord le premier parce qu'il lui paraissait le plus facile et le plus rapide et ensuite, mais seulement après avoir découvert les inconvénients et les dangers du premier, le second, c'est-à-dire le commerce qui était un moyen non loin déloyal et brutal mais plus confortable, et qu'au demeurant tous les peuples étaient obligatoirement passés par ces deux phases et avaient chacun à son tour mis l'Europe à feu et à sang avant de se transformer en sociétés anonymes de commis voyageurs comme les Anglais mais que guerre et commerce n'étaient jamais l'un comme l'autre que l'expression de leur rapacité et cette rapacité elle-même la conséquence de l'ancestrale terreur de la faim et de la mort, ce qui faisait que tuer voler piller et vendre n'étaient en réalité qu'une seule et même chose un simple besoin celui de se rassurer, comme les gamins qui sifflent ou chantent fort pour se donner du courage en traversant une forêt la nuit, ce qui expliquait pourquoi le chant en choeur faisait partie au même titre que le maniement d'armes ou les exercices de tir du programme d'instruction des troupes parce que rien n'est pire que le silence quand,...
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comme une tache d'encre aux multiples bavures se dénouant et se renouant, glissant sans laisser de traces sur les décombres, les morts
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la guerre pour ainsi dire étale pour ainsi dire paisible autour de nous, le canon sporadique frappant dans les vergers déserts avec un bruit sourd monumental et creux comme une porte en train de battre, agitée par le vent dans une maison vide, le paysage tout entier inhabité vide sous le ciel immobile, le monde arrêté figé s'effritant se dépiautant s'écroulant peu à peu par morceaux comme une bâtisse abandonnée, inutilisable, livrée à l'incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps
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... travaillant pendant les mois d'hiver à décharger des wagons de charbon, maniant les larges fourches, se relevant lorsque la sentinelle s'éloignait, minables et grotesques silhouettes, avec leur calot rabattu sur leurs oreilles, le col de leur capote relevé, tournant le dos au vent de pluie ou de neige et soufflant dans leurs doigts tandis qu'ils essayaient de se transporter par procuration (c'est-à-dire au moyen de leur imagination, c'est-à-dire en rassemblant et combinant tout ce qu'ils pouvaient trouver dans leur mémoire en fait de connaissances vues, entendues ou lues, de façon - là, au milieu des rails mouillés et luisants, des wagons noirs, des pins détrempés et noirs, dans la froide et blafarde journée d'un hiver saxon - à faire surgir les images chatoyantes et lumineuses au moyen de l'éphémère, l'incantatoire magie du langage, des mots inventés dans l'espoir de rendre comestible - comme ces pâtes vaguement sucrées sous lesquelles on dissimule aux enfants les médicaments amers - l'innommable réalité) dans cet univers futile, mystérieux et violent dans lequel, à défaut de leur corps, se mouvait leur esprit : quelque chose peut-être sans plus de réalité qu'un songe, que les paroles sorties de leurs lèvres : des sons, du bruit pour conjurer le froid, les rails, le ciel livide, les sombres pins :) ...

Pléiade p. 230.
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(…) le bruit des bottes en train de monter quatre à quatre l’escalier (…) et elle – la virginale Agnès – debout, poussant par les épaules l’amant – le cocher, la palefrenier, le rustre ahuri – vers l’inévitable et providentiel placard ou cabinet des vaudevilles et des tragédies qui se trouve à chaque fois là à point nommé comme ces énigmatiques boîtes des farces et attrapes dont l’ouverture pourra provoquer tout à l’heure aussi bien une explosion de rire qu’un frisson d’horreur parce que le vaudeville n’est jamais que de la tragédie avortée et la tragédie une farce sans humour, les mains (toujours le corps, les muscles, pas le cerveau qui à ce moment se dégage à peine de la poisseuse brume du sommeil, les mains donc seules, voyant) ramassant au passage les pièces d’habit masculin éparpillées çà et là qu’elles jettent pêle-mêle aussi dans le placard, le bruit des bottes ayant cessé, se tenant (les bottes, ou plutôt l’absence, l’arrêt soudain et alarmant du bruit) immédiatement derrière la porte, la poignée secouée en tous sens, puis le poing frappant, et elle criant : « Voilà ! », refermant le placard, s’éloignant, se dirigeant vers la porte, apercevant encore alors un gilet, ou un soulier d’homme, le ramassant, criant de nouveau à l’adresse de la porte : « Voilà ! », tandis qu’elle revient en courant au placard, le rouvre, lance sauvagement à l’intérieur, sans regarder, ce qu’elle vient de ramasser, le panneau de la porte résonnant maintenant sous les terribles coups d’épaules (la porte que tu as entendue voler en éclats sous les furieux assauts d’un homme – mais ce n’était pas le valet !) puis elle, là, puérile, innocente, désarmante, se frottant les yeux, souriant, lui tendant les bras, lui expliquant qu’elle s’enferme à clef par crainte des voleurs tandis qu’elle se presse contre lui, l’enlace, l’enveloppe, la chemise glissant comme par hasard sur son épaule, dénudant ses seins dont elle presse, froisse des tendres bouts meurtris sur la tunique poussiéreuse qu’elle commence déjà à dégrafer de ses mains fébriles, lui parlant maintenant bouche à bouche pour qu’il ne puisse voir ses lèvres gonflées sous les baisers d’un autre, et lui se tenant là, dans ce désarroi, ce désespoir : défait, désorienté, désarçonné, dépossédé de tout et peut-être déjà détaché, et peut-être déjà à demi détruit…
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[mai 1940]
mais comment appeler cela : non pas la guerre non pas la classique destruction ou extermination d'une des deux armées mais plutôt la disparition l'absorption par le néant ou le tout originel de ce qui une semaine auparavant était encore des régiments des batteries des escadrons des escouades des hommes, ou plus encore : la disparition de l'idée de la notion même de régiment de batterie d'escadron d'escouade d'homme, ou plus encore : la disparition de toute idée de tout concept si bien que pour finir le général ne trouva plus aucune raison qui lui permît de continuer à vivre non seulement en tant que général c'est-à-dire en tant que soldat mais encore simplement en tant que créature pensante et alors se fit sauter la cervelle

Pléiade p. 402
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Blum : « Comme ça devait être chouette d’avoir autant de temps à perdre, comme ça doit être chouette d’avoir tellement de temps à sa disposition que le suicide, le drame, la tragédie deviennent des sortes d’élégants passetemps », disant : « Mais chez moi on avait trop à faire. Dommage. Je n’ai jamais entendu parler d’un de ces distingués et pittoresques épisodes. Je me rends compte que c’est une lacune dans une famille, une déplorable faute de goût, non pas qu’il n’y ait pas eu un ou famille, une déplorable faute de goût, non pas qu’il n’y ait pas eu un ou deux ou peut-être même plusieurs Blum qui aient dû être tentés de le faire un jour ou l’autre, mais sans doute n’ont-ils pas trouvé un moment, la minute nécessaire, pensant sans doute Je le ferai demain, et remettant de jour en jour parce que le lendemain il fallait de nouveau se lever à six heures et se mettre aussitôt à coudre ou tailler ou porter des ballots de tissus enveloppés dans un carré de serge noire : après la guerre il faudra que tu viennes me voir, je te ferai visiter ma rue, il y a d’abord un magasin peint en jaune imitation bois avec écrit en lettres dorées sur fond de verre noir au-dessus des vitrines : Draperie Tissus Maison ZELNICK Gros Détail, et à l’intérieur rien que des rouleaux de tissus, ...
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... puanteur s'exhalant de milliers et de milliers d’hommes croupissant dans leur propre humiliation, exclus du monde des vivants, et pourtant pas encore dans celui des morts : entre les deux pour ainsi dire, traînant comme d’ironiques stigmates leurs dérisoires débris d’uniformes qui les faisaient ressembler à un peuple de fantômes, d’âmes laissées pour compte, c’est-à-dire oubliés, ou repoussés, ou vomis, à la fois par la mort et par la vie, comme si ni l’une ni l’autre n’avait voulu d’eux, de sorte qu’ils paraissaient maintenant se mouvoir non dans le temps mais dans une sorte de formol grisâtre, sans dimensions, de néant, d’incertaine durée sporadiquement trouée par la répétition nostalgique, pimpante et obstinée de la même rengaine, des mêmes mots vides de sens, sautillants, mélancoliques :

Granpèr ! Granpèr !
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Il me semblait de nouveau que cela n’aurait pas ne pouvait pas avoir de fin mes mains posées, appuyées sur ses hanches écartant je pouvais le voir brun fauve dans la nuit et sa bouche faisant Aaah aaaaaaaah m’enfonçant tout entier dans cette mousse ces mauves pétales j’étais un chien je galopais à quatre pattes dans les fourrés exactement comme une bête comme seule une bête pouvait le faire insensible à la fatigue à mes mains déchirées j’étais cet âne de la légende grecque raidi comme un âne idole d’or enfoncée dans sa délicate et tendre chair un membre d’âne je pouvais le voir allant et venant luisant oint de ce qui ruisselait d’elle je me penchai glissai ma main mon bras serpent sous son ventre atteignant le nid la toison bouclée que mon doigt démêlait jusqu’à ce que je le trouve rose mouillé comme la langue d’un petit chien frétillant jappant de plaisir sous laquelle l’arbre sortant de moi était enfoncé sa gorge étouffée gémissant maintenant régulièrement à chaque élan de mes reins combien l’avaient combien d’hommes emmanchée seulement je n’étais plus un homme mais un animal un chien plus qu’un homme une bête si je pouvais y atteindre connaître l’âne d’Apulée poussant sans trêve en elle fondant maintenant ouverte comme un fruit une pêche jusqu’à ce que ma nuque éclate le bourgeon éclatant tout au fond d’elle l’inondant encore et encore l’inondant, inondant sa blancheur jaillissant l’inondant, inondant sa blancheur jaillissant l’inondant, pourpre, la noire fontaine n’en finissant plus de jaillir le cri jaillissant sans fin de sa bouche jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien sourds tous les deux tombés inanimés sur le côté mes bras l’enserrant toujours...
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C’était un dimanche cette fois et ils étaient assis tous deux, lui et Blum tentant de se chauffer au pâle soleil saxon, toujours affublés de leurs grotesques capotes de soldats polonais ou tchèques, le dos contre la paroi de planches de leur baraque et tirant chacun à tour de rôle une bouffée de la même cigarette qu’ils se repassaient, gardant le plus longtemps possible la fumée au fond des poumons, la rejetant lentement par les narines pour mieux s’en pénétrer, sentant avec indifférence grouiller sur leur corps la vermine dont ils étaient couverts, les dizaines de minuscules poux grisâtres dont ils avaient un jour découvert avec terreur le premier, pourchassé désespérément ensuite les suivants, et qu’ils avaient fini par renoncer à tuer, les laissant maintenant courir sur eux avec un sentiment de permanent dégoût, de permanente impuissance et de permanente décomposition.
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