En cette fin du mois de mars, un orage précoce s'était déchaîné sur le pays. Comme pour s'accorder au désarroi qui s'était emparé de l'esprit d'Enora depuis la terrible annonce que son père avait faite à la famille au cours du repas de midi. En dehors de sa mère, à qui il ne cachait rien et qui était déjà informée, tout le monde était resté abasourdi. Une discussion animée, chargée d'incrédulité, avait suivi. Elle-même n'avait rien dit. A la fin du repas, elle s'était éclipsée discrètement et avait filé à l'écurie pour seller son cheval, un triple poney nerveux et rapide qu'elle avait appelé Pégase, du nom de ce cheval ailé apprivoisé par Persée lors de son combat contre Méduse. Lorsqu'elle le lançait au galop, elle avait l'impression de voler. Et c'était bine de cette sensation qu'elle avait besoin pour assimiler la nouvelle invraisemblable : les efforts de son père n'avaient servi à rien, ils allaient être obligés de vendre leur demeure, le château Saint-Ménérac.