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Critique de HundredDreams


« Au plus fort de l'orage il y a toujours un oiseau pour nous rassurer. »
René Char, Les Matinaux.

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J'ai hésité longtemps à lire ce roman, malgré le superbe billet d'Alain (@ALDAMO21) que je remercie, malgré la poésie du titre, malgré l'appel des oiseaux et le bruit de l'océan, malgré l'onirisme sombre de la couverture.

En le trouvant à la médiathèque, je pensais lire quelques lignes avant de me décider. Et puis passé l'incipit, j'ai poursuivi ma lecture, sachant que j'irais jusqu'au bout.

« C'est son heure préférée, celle où la forêt devenue bleue renaît. Cette heure merveilleuse, suspendue avant l'aube, où tous les chagrins s'effacent, où tous les espoirs semblent permis. L'heure des oiseaux. »

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Peut-être devez-vous vous demander pourquoi j'ai tant hésité ?
C'est en raison de son sujet dont je connaissais déjà les lignes essentielles, tant les médias en ont parlé au moment où le scandale a éclaté en 2008.
Dans un va-et-vient entre le passé et le présent, Maud Simonnot aborde l'affaire de l'ancien orphelinat de Jersey dans lequel il y aurait eu des maltraitances enfantines, des disparitions d'enfants, des sévices physiques et sexuels commis par les employés et des personnes influentes de l'île entre les années 1960 et 1980.

Les notables de l'époque, les insulaires ont tenté d'étouffer l'affaire pour ne pas nuire aux intérêts financiers de ce paradis fiscal et personne n'a été condamné, une sorte de double peine pour les victimes dont le témoignage et la douleur n'ont pas été entendus. Pourtant, cette magnifique île ceinturée par des eaux d'un bleu cristallin a été un enfer pour des centaines d'enfants placés.

« Sous les banques et les tapis de primevères dorment le sang, les larmes et les anciennes peurs. L'île aux Fleurs cache la mort dans ses entrailles. »

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Maud Simonnot s'inspire de ce fait divers particulièrement effroyable dans une alternance de chapitres très courts.
On suit une jeune femme qui revient sur l'île de Jersey qui a « accueilli » autrefois l'enfance de son père, Simon. Elle cherche à connaître l'histoire de ce père secret et abîmé par un passé qui refait surface sous la forme de violents cauchemars et de crises d'angoisse.
De ces années à l'orphelinat, ne subsiste dans son esprit que le souvenir d'une petite fille, Lily. le reste de sa mémoire est inaccessible, c'est un vide, un trou noir rempli de peurs et de douleurs, une béance sur sa ligne de vie qui l'empêche d'avoir un présent, un futur.
Alors, la jeune femme cherche à comprendre mais elle se heurte à la froideur des Jersiais et à la loi du silence qui prévaut toujours, le sujet étant tabou même si l'orphelinat a fermé depuis longtemps.

Une deuxième voix venue du passé, douce et flûtée comme le chant des oiseaux, nous emporte derrière les hauts murs de l'orphelinat. Elle s'appelle Lily.
Cette petite fille joyeuse, lumineuse, solaire, s'échappe de la réalité et réécrit le monde dans lequel elle vit. Comme une petite fée, elle transforme la laideur, le sordide, la frayeur en de jolis rêves colorés. Depuis cet orphelinat qui l'encage, elle s'invente un royaume peuplé d'oiseaux et leur chant est une douce compagnie.

Il est aussi question d'amitié et de solidarité avec un petit garçon, un petit oisillon à protéger.

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« L'heure des oiseaux » est un roman profondément enraciné dans la nature. Les oiseaux y sont rois. On entend leurs chants qui se mêlent au bruit des vagues.

L'océan est présent en arrière-plan, le sac et le ressac de ses vagues accompagnent le mouvement du récit.
La présence de l'océan est ordinairement apaisante, réconfortante, mais dans ce contexte, sa force tranquille, ses vagues ourlées d'écume, sa belle couleur indigo, ne suscitent pas un sentiment de réconfort et d'apaisement, ni une sensation de liberté.
Au contraire, l'île et l'orphelinat deviennent une geôle sans barreau, une prison à ciel ouvert et procurent une sensation d'enfermement, de claustrophobie. La seule façon de s'en libérer étant d'étendre son imaginaire dans la « forêt oubliée » et au-delà de l'océan.

« La fillette lui adresse alors un sourire brisé que l'homme n'oubliera jamais. Il a bien conscience de son impuissance à protéger cette enfant, lui qui n'a déjà pas été capable de se défendre. Son affection ne pèse rien face à l'horreur de ce que Lily et les autres enfants subissent mais il lui assure que l'univers est vaste et qu'un jour elle voyagera loin de cette île. Loin, très loin, il le lui promet. »

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Ce n'est jamais facile de parler de l'enfance meurtrie.
J'avais peur, je l'avoue, d'un récit sordide, voyeuriste, mais Maud Simonnot ne cherche pas les effets de style ou l'intensité dramatique. Son écriture est sensible, tendre, poétique, imagée pour parler des vies volées et de l'innocence perdue par la violence des hommes.

« Son esprit, dès l'instant où l'ombre l'a touchée, s'est échappé très loin de la cave et elle croit entendre son rouge-gorge qui module ses trilles purs à travers la forêt. le chant pénètre son coeur et atténue ses souffrances. Elle en est certaine, durant des heures sans s'arrêter, tant que durera son supplice, l'oiseau à l'instinct infaillible chantera. »

L'autrice construit une histoire à hauteur d'enfant où la gaieté, l'innocence et la douleur s'entremêlent. Et sous le filtre du monde enchanté que s'est créé Lily, de la forêt et de ses petits habitants, du balancier de l'océan, des senteurs marines et boisées, les émotions sont vives.

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Pour conclure, « L'heure des oiseaux » est un roman délicat, touchant, émouvant. Son thème est sombre mais l'écriture douce et profonde est telle que je retiens avant tout la lumière et l'amitié de deux enfants, la beauté musicale du texte, son ambiance insulaire, cette forêt peuplée de rêves et d'espoir.
Un très beau roman que je vous conseille.
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