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Citations sur L'heure des oiseaux (34)

C'est son heure préférée, celle où la forêt devenue bleue renaît. Cette heure merveilleuse, suspendue avant l'aube, où tous les chagrins s'effacent, où tous les espoirs semblent permis. L'heure des oiseaux.
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Le soir elle tente de s'élever au maximum sur la pointe des pieds pour distinguer un peu de ciel par l'étroit soupirail. La vue des hautes branches de l'arbre de Judée incendié par le coucher du soleil l'apaise et lui redonne des forces. Elle perçoit depuis son cachot les cris rêches de geais qui se rendent vers la cité aérienne de la forêt, indifférents aux hommes et à la pesanteur. Bientôt brilleront les premières étoiles et elle entendra le crescendo flûté, si puissant et mélancolique, d'un rouge-gorge qui vit à l'orée du bois et lui tient souvent compagnie la nuit. Elle même se sent, plus que jamais, comme un oiseau en cage.
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(Les premières pages du livre)
La buanderie est une étuve décrépie, entourée de longs bancs‬ et de hublots sales par lesquels même les jours radieux ne filtre qu’une grisaille diffuse, mais c’est la pièce préférée de Lily. Car‬ ici on l’oublie parfois pendant des heures à la tâche, ici la fillette est enfin tranquille.‬
‪Cachée derrière une pile de linge, elle aperçoit dans l’encadrement de la porte l’intendante et le surveillant en chef en‬ train de s’embrasser. Si la jeune femme blonde a un visage‬ ‪disgracieux, le surveillant est bien plus repoussant avec ses‬ manières grossières et l’éclair mauvais qui anime son regard.‬ Lily, comme tous les enfants de l’orphelinat, le déteste et le‬ craint.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪D’abord surprise par cette scène inattendue, la fillette sourit. Tant que ces deux‑là s’occuperont de leurs affaires, ils ne‬ seront pas derrière elle.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

‪Le jour où je suis arrivée sur l’île, il neigeait.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪J’avais rêvé d’azur, de voiliers et de soleils couchants qui‬ brûlent en silence, j’ai débarqué en pleine tempête dans un‬ endroit où personne ne m’attendait.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Par facilité j’avais choisi un vieil hôtel dans un port du sud de‬ l’île, près de la capitale, Saint‑Hélier, à quelques kilomètres du‬ lieu des crimes. Comme tous les villages bordant cette côte,‬ celui‑ci était bâti au creux d’une baie abritée des tempêtes.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Mon guide précisait : « une superbe baie dessinée par des chaos‬ de roches se perdant dans le bleu intense de la Manche ».‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪D’ordinaire le soir on pouvait voir, ajouta le patron de l’hôtel,‬ le demi‑cercle scintillant d’une guirlande qui ourlait la côte sur‬ des kilomètres. J’étais prête à croire le guide et cet homme‬ enthousiaste mais ce jour‑là on ne distinguait pas son chien‬ au bout de la laisse, et tout était d’un blanc triste, le ciel comme‬ la mer.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Dans mon esprit se superposaient aussi des images d’archives : j’avais vu un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale dans les îles Anglo Normandes et je savais qu’une attaque navale terrible avait illuminé autrement cette jolie anse, les fusées repeignant le ciel en vert et rouge, aux couleurs de l’enfer. Le grondement des canons avait retenti pendant des heures tandis que les sirènes du port hurlaient, recouvertes à leur tour par les cris, les bruits des bottes, les balles traçantes sur la plage...
*
Une fois dans ma chambre, j’ai laissé glisser le lourd sac de toile de mon épaule et passé l’appel téléphonique promis: « Oui, ça y est, je suis à Jersey. »‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Lily voit que le Petit a encore pleuré. Parce qu’il a eu peur, parce qu’on lui a dit quelque chose d’effrayant, ou qu’on l’a grondé pour une faute inconnue. Sous la frange trop courte, mal coupée, de ses cheveux fins, les yeux clairs sont cernés.
Elle a une idée. C’est dimanche ; les adultes, après la messe, vaquent à leurs occupations à l’extérieur, l’orphelinat est vide.
Elle court à la cuisine et revient avec quelques légumes dérobés dans un panier du marché.
Il y aura la reine Rutabaga ceinte d’un chiffon blanc. Un œuf de caille trouvé au pied d’un mur, que Lily garde précieusement avec d’autres trésors sous son lit, sera parfait pour représenter l’enfant sur l’autel. Les reflets céladon de la coquille émerveillent le Petit qui n’en a jamais vu de semblables. Lily aligne les carottes comme des soldats de chaque côté et bâtit pour ses autres créatures un mobilier miniature à partir de branchettes.
‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
Le spectacle commence. Le Petit oublie ses larmes, béat devant l’histoire qui se matérialise sous ses yeux. Lily a transformé l’atmosphère autour d’eux avec cette manière si particulière des enfants souverains, capable de réenchanter l’endroit le plus sordide et de créer un monde plus heureux.
Un instant.
Dès le lendemain, j’ai voulu voir l’orphelinat. Face à moi s’élevait une immense bâtisse victorienne en granit, rendue plus lugubre encore par son histoire et le fait que depuis des années elle soit abandonnée aux vents et aux dégâts du temps. Un brouillard marin épais rejoignait un ciel cendré : le décor naturel était en harmonie.
Un des orphelins, parmi les témoins les plus importants du procès, avait déclaré qu’il souhaitait voir démolir cet endroit, symbole de son traumatisme. Dans ce sombre bâtiment bordant la forêt à la sortie du village, des dizaines d’enfants placés par l’Assistance publique avaient subi l’inavouable.
Maltraitances physiques, humiliations, privations, punitions. Et, d’après plusieurs victimes qui avaient enfin parlé, sévices sexuels.
Tout avait débuté en 2008 lorsqu’on avait dégagé les restes d’un corps enterré dans une cave de l’orphelinat sous une dalle de béton. Un appel téléphonique anonyme avait précisé au commissariat l’emplacement des ossements. À partir de là, l’enquête était enclenchée : le chef de la police arriva sur les lieux et fit venir le médecin légiste, la route qui mène au pensionnat fut barrée – elle le resterait des années. Les premières constatations ne permirent pas de trouver le moindre indice supplémentaire, mis à part l’entrée dissimulée d’une autre cave, identique, dans laquelle des prélèvements furent effectués. Il s’avéra rapidement que les ossements provenaient d’animaux, c’était une fausse alerte. L’affaire aurait donc pu s’arrêter là
mais, après la macabre découverte, les langues s’étaient déliées.
La presse locale évoqua des caves secrètes dans lesquelles des enfants auraient été attachés et enfermés sans rien à manger ni à boire, à l’isolement complet. Des journalistes de grandes rédactions anglo saxonnes prirent le relais, tout s’emballa et le scandale médiatique entraîna une bien plus vaste investigation. Des lettres et des appels affluèrent de l’Europe entière.
Au total cent soixante anciens pensionnaires racontèrent les violences infligées par des membres du personnel et certains visiteurs à partir de l’après guerre. L’accumulation des témoignages et leur concordance ne permirent pas sur le moment de remettre en question leur parole.
Les policiers tentèrent de dresser la liste des personnes impliquées et celle des victimes. L’une comme l’autre furent difficiles à établir : l’orphelinat avait été fermé en 1986, on n’avait conservé aucun registre des employés ni des enfants.
Dans l’enquête menée par la Jersey Child Abuse Investigation, une douzaine de spécialistes de la police scientifique furent chargés de la recherche et de l’identification de traces humaines qui pourraient raconter une histoire vieille de plus d’un demi siècle. Car d’autres témoignages signalaient aussi des disparitions d’enfants. La terre brune de l’île fut entièrement retournée aux alentours de l’orphelinat et les enquêteurs furent aidés par les plus fameux limiers du Royaume, deux épagneuls renifleurs déjà utilisés lors de la disparition de la petite Maddie. Mais on ne retrouva pas d’ossements, juste quelques objets tachés de sang, impossibles à identifier.
Et puis plus rien. Dans les médias, le doute sur ce qui s’était véritablement passé dans l’orphelinat s’était peu à peu installé, faute de preuves. La police locale, qui se divisait entre une police dite « officielle » et une police « honorifique » constituée de connétables, centeniers et vingteniers – des citoyens élus depuis le XIVe siècle par les paroissiens pour « le maintien de l’ordre » –, était débordée par une si grosse affaire, rien n’avait pu être fait dans les règles. Des preuves avaient été égarées, les analyses et les témoignages se contredisaient, des informations censées rester confidentielles avaient circulé, certains témoins avaient été intimidés et étaient revenus sur leur déposition... Parmi les suspects encore vivants, trois seulement
furent un temps inquiétés. On conclut à des « défaillances » dans la gestion de l’enquête, le chef de la police, dont l’intégrité gênait les notables locaux, servit de fusible et fut limogé. Last but not least, des experts en relations publiques furent engagés pour redorer l’image du paradis fiscal. Dans l’île britannique, à vingt kilomètres des côtes françaises, l’onde de choc s’éteignit aussi vite qu’elle s’était levée et le bailliage de Jersey put recouvrer sa tranquillité légendaire, ses banques et son bocage verdoyant.
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Le Petit oublie ses larmes, béat devant l'histoire qui se matérialise sous ses yeux. Lily a transformé l'atmosphère autour d'eux avec cette manière si particulière des enfants souverains, capable de réenchanter l'endroit le plus sordide et de créer un monde plus heureux. Un instant.
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« Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte… »
Albert Cohen
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Elle repense à leur conversation sur la tombe des oisillons. Elle sait qu'il espère sans relâche qu'on vienne le chercher. C'est le fantasme collectif des orphelins qui, dans leur roman familial, ne peuvent accepter l'abandon : le retour des parents... Un fol espoir l'étreint parfois elle aussi lorsqu'elle baisse la garde, et particulièrement la nuit lorsque le désespoir la submerge. Elle se dit que si le vent fait bouger la branche posée sur le muret ce sera la promesse qu'elle reverra bientôt sa mère.
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Au bout de l’enfer les aubes froides se succèdent, sans que Lily ait d’espoir, sans qu’elle parvienne à distinguer dans le lever du jour l’aube de la veille et celle du lendemain. L’expérience de ce temps morne lui ôte toute énergie, elle qui rêvait d’aventures et d’une vie où elle se coucherait dans un endroit différent chaque nuit.
Mais ce jour-là, si douloureux pour le garçon roux, surgit une apparition magique dans le parc. Une chouette effraie s’est posée sur la branche la plus basse du peuplier dans la lumière poudrée d’une demi-lune. La fillette ne connaît pas les légendes macabres accompagnant l’oiseau de mauvais augure, elle ne voit que la blancheur qui aimante les rayons célestes, et contemple le rapace, fascinée par la perfection de cet animal constellé d’une infinité d’étoiles.
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« En traversant ces immenses prairies aux fragrances végétales compliquées d’iode et de sel, j’ai repensé au mystère de la transmission entre générations, à ce que j’avais hérité de mon père mais aussi indirectement de cette enfant morte il y a soixante ans et dont je me sentais si proche. Et je trouvais encore plus beau que ce qui nous relie soit les chants d’oiseaux. »
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Le soir elle tente de s'élever au maximum sur la pointe des pieds pour distinguer un peu de ciel par l'étroit soupirail. La vue des hautes branches de l'arbre de Judée incendié par le coucher de soleil l'apaise et lui donne des forces. elle perçoit depuis son cachot les cris rêches de geais qui se rendent vers la cité aérienne de sa forêt, indifférents aux hommes et à la pesanteur. Bientôt brilleront les premières étoiles et elle entendra le crescendo fluté, si puissant et mélancolique d'un rouge-gorge qui vit à l'orée du bois et lui tient souvent compagnie la nuit. Elle même se sent, plus que jamais, comme un oiseau en cage.
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La mémoire se conforme à ce que nous croyons nous rappeler, on ne peut pas davantage se fier à nos souvenirs qu'à notre imagination.
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