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Critique de beatriceferon


Nathalie Skowronek est issue d'une famille juive qui travaille dans le commerce des « schmattès », des loques, un mot yiddish qui « vient de szmata, un chiffon en polonais ». Se représenter les juifs comme des tailleurs est presque un lieu commun. Armés d'une simple aiguille et de fil, ils arriveraient à se tirer des situations les plus difficiles. Dans la famille de Nathalie, on ne posait pas la question : « Que veux-tu faire plus tard ? », mais bien : « Tu veux faire quoi ? Tailleur pour hommes ou tailleur pour dames ? » Il n'est donc pas étonnant que notre romancière ait d'abord mis ses pas dans ceux de ses parents en exerçant le métier de « coresponsable des achats ».
Dans son livre, elle évoque cette lignée de commerçants, passant du sur-mesure au prêt-à-porter, vivant à Paris dans le quartier du Sentier, puis, en Belgique, où ont fleuri leurs magasins, à Bruxelles, Charleroi ou Gand. La petite fille y jouait et avait alors l'impression que la modeste boutique de soixante mètres carrés était un château recelant un véritable labyrinthe. On mettait les enfants à contribution, le plus souvent pour les occuper et les empêcher de faire des bêtises, plus que pour leur demander un service sérieux. Ainsi, les jours de braderie, on leur confie la mission de surveiller le portant des vêtements soldés, de diriger les clients vers une « vraie vendeuse »alors que la fillette rêvait de distribuer des conseils utiles ou de réaliser une vente importante.
Et voici toute une famille qui défile. Il y a l'arrière-grand-mère Lili, qui s'occupe surtout des fourrures, les grands-parents que l'on ne distingue que par leurs enseignes « Madame Vogue » et « Guedalia ». Ils se font une concurrence acharnée pour le simple plaisir de se faire enrager l'un l'autre. « Ils ne se parlèrent plus pendant trois mois, après que Guedalia, piqué par on ne sait quelle mouche et ne voulant rien entendre, avait recopié et commencé à vendre moins cher des pompons en fourrure semblables à ceux que vendait Madame Vogue ». Des autres grands-parents, Max et Rayele, l'auteur nous a déjà longuement parlé dans « Max en apparence ». Ils font, de temps à autre, de brèves apparitions. Enfin, il y a les parents, surnommés « Tina » et « Octave ». Quant à l'auteur elle-même, on la reconnaît tantôt sous les traits de la narratrice qui dit « je », tantôt, elle remonte le temps, se dédouble et devient « l'enfant » qu'elle regarde agir et décrit comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre. Arrivée à l'âge adulte, elle est très soucieuse de seconder sa mère, « Tina », l'intrépide « Dona Quichotte ». Car, d'un coup d'oeil, elle est capable de déterminer ce qui va plaire ou non, sans se tromper, ou très rarement. Elle tient la dragée haute aux fournisseurs, ces roublards soucieux de lui faire acquérir des lots qui ne l'intéressent pas. Dans l'ombre de cette battante , la « coresponsable des achats » est une fidèle « Sancha ».
Lorsque, enfin elle se permettra de laisser libre champ à sa véritable passion, l'écriture, elle utilisera encore souvent des expressions héritées du commerce familial. Elle retournera avec nostalgie et surprise sur les lieux de son passé. « Alors que l'ancienne enfant cherche la librairie Molière, une institution dans la ville, elle découvre que le boulevard Tirou se trouve juste au-dessous de la rue de la Montagne. A moins de deux cents mètres du magasin Vogue de ses jeunes années. Elle l'atteint en quelques minutes ; pas impossible que la librairie ait été visible depuis les étages de la rue de la Montagne. »
J'avais très envie de découvrir ce nouvel ouvrage de Nathalie Skowronek dont j'avais déjà lu avec plaisir les deux premiers romans. Voir son livre sélectionné dans la liste du prestigieux Prix Rossel était un gage de qualité. J'imaginais qu'elle raconterait l'histoire de sa famille, qui m'intéressait d'autant plus que mes propres grands-parents avaient, eux aussi, travaillé dans la confection. J'ai pourtant été un peu déçue, car l'auteur nous expose de nombreux aspects techniques très théoriques, utilisant moult mots en yiddish dont elle explique l'étymologie, attestant d'une très sérieuse documentation sur son sujet.
Mais moi, qui n'y connais rien, je m'y perdais très souvent. Il m'arrivait quelquefois de relire plusieurs fois le même passage sans m'en rendre compte ! Je préférais de loin les moments où elle se lance dans une vraie narration, faisant revivre les siens et racontant des situations vécues parfois très amusantes. Pour preuve, la catastrophe où un « ouvrier reçoit la tâche d'assembler des cols et des chemises qu'on vient de lui livrer en noir et en bordeaux. », Mais il ne comprend pas bien la consigne et mélange les deux coloris. Sauf que cette originalité des pièces bicolores attire un public qui s'arrache les vêtements, à tel point qu'ils « sont vendus dans l'heure et aussitôt remis en coupe. »
Le goût de l'auteur pour l'art plutôt que pour le commerce transparaît dans les innombrables allusions à la littérature. Évidemment, il y a le « Bonheur des Dames » de Zola, le livre qui vient immédiatement à l'esprit, mais on y trouve aussi Flaubert, Steinbeck, Albert Cohen, Annie Ernaux et surtout Proust, auquel elle consacre un chapitre entier . Évoquant des amoncellements de fripes le jour des soldes, elle met en scène et analyse les installations de Boltanski auxquelles elle les compare.
Le roman de Nathalie Skowronek n'était pas vraiment celui auquel je m'attendais. D'ailleurs, s'agit-il réellement d'un roman ? J'ai eu davantage l'impression de lire un documentaire. Donc, il ne m'a pas tellement plu.
Mis j'ai tort. En effet, cette oeuvre est bien écrite, remarquablement documentée et vraiment intéressante. Elle ne correspondait tout simplement pas à ce que je cherchais en m'y plongeant.
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